Les folies d’un torrent à clappes



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Avertissement

Les dates indiquées ici, comme sur le panneau du sentier, correspondent aux années BP (Before Present  - datation au Carbonne 14) que nous avons converties en années av JC. Pour en savoir plus sur la datation au carbonne 14 : http://fr.wikipedia.org/wiki/Datation_par_le_carbone_14

Pour comprendre le Manival, sa morphologie et son fonctionnement, deux périodes sont intéressantes à observer de plus près :

  • celle qui va de la fin de la dernière grande glaciation wurmienne jusqu’au réchauffement de l’Holocène (- 24 000 à – 5000 ans environ avant JC) : c’est au cours de cette période que le  torrent s’est constitué son vaste cône de déjection, par l’accumulation des matériaux transportés en période de crue (par charriage mais aussi sous la forme de laves torrentielles) ;
  • celle, beaucoup plus récente, qui va du début du petit âge glaciaire (16è siècle) jusqu'à aujourd’hui, période au cours de laquelle le torrent a subi de multiples transformations, liées pour bonne part, à l’action de l’homme au cours du 19è et du 20è siècle.

Le Manival à l’échelle des temps géologiques 

Il y a environ 24 000 ans avant JC, le Manival avait encore les pieds dans la glace…
 

Ce glacier, qui occupait l’ensemble de la vallée du Grésivaudan s’est peu a peu retiré laissant place à un lac qui à été peu à peu comblé par les alluvions de l’Isère et de ses affluents. Pendant des milliers d’années, les torrents se sont ainsi rehaussé sur leur cône, accumulant des mètres et des mètres de matériaux dans la vallée. A l’heure actuelle, on estime que les dépôts du Manival atteignent une hauteur de 100 à 120 mètres environ dans la partie médiane de son cône.

Comme nous le verrons dans les parties ultérieures, il existe deux modes de transport solide des matériaux en période de crue dans le Manival : le charriage et les laves torrentielles. Lors des périodes de réchauffement (donc pluvieuses avec des orages importants), les laves devaient être plus fréquentes que le charriage. En revanche, durant les périodes plus froides, le charriage représentait le mode de fonctionnement principal du torrent. Il est important cependant de bien garder à l’esprit qu’il est souvent difficile de faire la part des laves et du charriage, et qu’il y a probablement eu des périodes d’exception, comme au Dryas 3 (- 9000 à – 8000 ans avant JC) marqué par une crise détritique majeure.

Voici, décrites plus en détail quelques périodes climatiques importantes pour le fonctionnement du Manival :

1/ -13 000 à -11 500 avant JC : période de froid sec, durant laquelle la végétation est steppique. Alluvionnement (accroissement de terrain par accumulation d'alluvions) des cours d'eau de la zone interne et préalpine des Alpes essentiellement par charriage (les laves sont forcément très rares). On est au maximum de fonctionnement de tous les torrents, au moins pendant 3000 ans. Pour comparaison, les Alpes devaient ressembler à l’actuel Haut Atlas marocain. On appelle cette période le « Dryas 1 » (tardiglaciaire inférieur).

2/ -11 500 à -9000 avant JC : réchauffement, (re)conquête forestière avec optimum des pineraies vers 1100m et une limite supérieure vers 2000m d'altitude. A priori, le bilan pluie/neige annuel l'emporte désormais nettement, associé à une remontée significative des températures. C'est une période de stabilité hydrologique, avec apports solides réduits, incision des lits alluviaux qui ont tendance à méandrer dans les vallées. Le Manival devait être assez calme pour le charriage, avec toutefois des laves liées aux orages estivaux. On appelle cette période le Bolling-Dryas2-Alleröd (Tardiglaciaire supérieur).

3/ -9000 à -8000 avant JC : retour du froid, humide. Cette crise climatique, plus accentuée dans les Alpes du Sud que dans les Alpes du Nord, marque la fin du Tardiglaciaire. La forêt recule rapidement, torrents et rivières retrouvent une forte activité détritique, par forts charriages exclusivement. La forêt se clairseme, laissant la place à des landes herbeuses et pour les sols et roches les plus fragiles, à un retour du ravinement. On appelle cette période le Dryas 3 (ou Dryas récent).

4/ -8000 à -6000 avant JC : les températures repartent à la hausse, mais tranquillement... la forêt revient progressivement, dans une ambiance climatique chaude et sèche. Les précipitations diminuent. Les cours d'eau se stabilisent au Préboréal et retrouvent une sédimentation limoneuse au Boréal : sols et couverts forestiers protègent efficacement. Pour le Manival, torrent d'altitude moyenne, on doit assister à nouveau au renversement de tendance avec des laves plus fréquentes que le charriage. On appelle cette période le Préboreal, Boreal (Holocène inférieur).

5/ -6000 à -2700 avant JC : C'est la période climatique la plus stable dans les Alpes. Peu de variations interannuelles et pas de crises identifiées ; c'est clairement l'avènement de la civilisation agraire, remplaçant les chasseurs-cueilleurs (Néolithique moyen et supérieur). C'est l'âge d'or également de la sapinière en altitude. L'alluvionnement des cours d'eau, même des plus "terribles" comme la Durance ou le Drac, montre d'épais dépôts de limons et de bois piégés : les apports de versants, même caillouteux, ne transitent plus ou peu jusqu'au collecteur principal. Le Manival a du connaître une remarquable stabilité hydrodynamique durant 3000 ans, ce qui n'empêche nullement les crues, mais les rends plus rares et peu intenses. Vers -3000 ans JC, c'est l'optimum climatique, avec des températures, en France, supérieures de 1,8°C à celles de 1960 ! On appelle cette période l’Atlantique (Holocène inférieur et moyen).

 

La vulnérabilité d’une société paysanne et agricole

Des recherches historiques ont montré que des phénomènes torrentiels exceptionnels se sont produits durant les 17è et 18è siècle dans le Alpes (pour le Manival, 9 crues ont été recensées entre 1673 et 1820). Les effets croisés de la déforestation (du fait de la consommation croissante des manufactures et de la marine) et de la péjoration climatique du Petit Age Glaciaire expliquent sûrement en partie ces faits. A la fin du 18è siècle, alors qu’une bonne partie des secteurs de montagne sont devenus presque lunaires, du fait des défrichements intensifs, une nouvelle idéologie apparaît, l’idéologie du reboisement. Portée par les ingénieurs des Ponts et Chaussées puis ceux des Eaux et Forêts, combattue par le lobby agropastoral, elle aboutira aux lois de 1860 et 1882 sur le reboisement et la restauration des terrains en montagne. Et donc aux travaux de correction torrentielle de la fin du 19è siècle qui ont largement concerné le Manival, comme beaucoup d'autres torrents.

Avant cette intervention massive de l’Etat, le Manival est un torrent à l’état naturel, qui divague sur son cône, change de lit, envahit les champs, submerge la route de Grenoble à Chambéry et cause parfois des dégâts considérables dans les hameaux de Saint-Ismier et Saint-Nazaire-les-Eymes.

En témoigne la série de crue des années 1830 durant lesquelles le Manival se déchaîne :
10/05/1831 : dégâts importants en rive droite dans St Ismier. 17 maisons du hameau des Varciaux sont engravées jusqu’au premier étage ; le puit est comblé. Dans les vignes et les jardins, les dépôts atteignent 1,5 m de hauteur. La route de Grenoble à Chambéry est coupée.
15/08/1831 : débordement du Manival qui encombre plusieurs maisons de vases.
14/06/1835 : débordement du Manival sur la route de Grenoble à Chambéry.
15/08/1836 : débordement du Manival. Inondation de plusieurs habitations aux Varciaux, destruction de bétail, engravement de bâtiments et de terrains. Route de Grenoble à Chambéry impraticable pendant 4 jours.

Très vite les habitants vont tenter de se protéger par l’édification de digues, aidés en cela par l’Etat qui ne peut tolérer qu’un axe de circulation majeur soit régulièrement coupé. Dès 1816, le Préfet autorise la commune de Saint-Ismier à imposer aux riverains 4000 journées de travail, réparties sur 4 années, pour effectuer les réparations de la digue en rive droite, et 1200 journées, réparties sur 2 années, pour remédier à l’état de la rive gauche (projet d’édifier sur 1589 m, un mur de pierre sèches de 2 m de haut). En 1831, la digue en rive droite est prolongée sur 285 m de long et 2.30 m de hauteur. En 1862, sur environ 400 m. !

Mais pourquoi les habitants des trois communes de Saint-Ismier, Saint-Nazaire et Bernin se sont-ils installés sur le cône de déjection du torrent ? En fait, ils n’avaient pas vraiment le choix… La plaine de l’Isère étant insalubre compte tenu des divagations constantes de la rivière (et donc source de maladies…), ils ont du remonter dans la pente sur le cône du torrent (on voit bien sur la carte de Cassini, réalisée à la fin du 18è siècle, le cours de l’Isère en tresse et les zones de marécages). Il est à noter cependant que les habitants du cône du Manival se sont d’abord installés dans les zones les plus sûres, comme les moraines (secteur surélevé) et la partie basse du cône. En 1882, la loi sur la Restauration des Terrains en Montagne est l’occasion d’engager des travaux d’envergure pour dompter le Manival qui posait de réels soucis depuis des décennies…

   
 

 
 


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