Dans les propositions du Conseil général de l’environnement et du développement durable (CGEDD), à l’issue de sa mission sur la transparence, l’information et la participation de tous à la gestion des risques majeurs, technologiques ou naturels, l’une d’entre elles a retenu toute notre attention :
A ce jour, ce qu’il est coutume d’appeler « la gestion des risques », regroupant génériquement l’information préventive, les actions de protection et de prévention, l’alerte des populations, les actions de sauvegarde et la gestion de crise relève de la compétence directe de deux ministères : l’Intérieur et l’Ecologie.
Dans les années 70, le ministère de l’Intérieur disposait d’une compétence générale en ces domaines au travers de la direction de la Sécurité civile, au sein de laquelle exerçaient une sous-direction de la prévention et une sous-direction chargée de la gestion opérationnelle. Le ministère de l’Ecologie n’existait pas.
A noter cependant, une initiative intéressante au sein du gouvernement Mauroy, en 1984, la création d’un secrétariat d’Etat aux risques majeurs [1] confié à Haroun Tazieff, dont nous connaissons les liens historiques avec notre Institut !
Dans ce contexte ministériel, peu ou prou, mais nous en étions seulement aux prémices d’une véritable politique de prévention des risques, c’est dans un seul ministère que convergeaient les nombreuses problématiques liées aux aléas naturels ou accidents industriels, qu’il s’agisse d’en appréhender les moyens, de s’en prémunir ou d’en combattre les effets néfastes pour les personnes et les biens.
A noter qu’à cette époque également, le concept d’information préventive des populations n’existait pas.
En 1984, Mme Bouchardeau devient la première ministre de l’Environnement en titre. Dès 1991, Brice Lalonde, Ségolène Royal, Michel Barnier consolident l’existence et le poids politique de ce nouveau ministère à part entière, aujourd’hui ministère de la Transition écologique.
Avec la loi n° 87-565 du 22/07/87 relative à l'organisation de la sécurité civile, à la protection de la forêt contre l'incendie et à la prévention des risques majeurs (abrogée), il est stipulé que « les citoyens ont droit à une information préventive sur les risques majeurs auxquels ils sont soumis et sur les mesures de sauvegarde qui les concernent. Ce droit s’applique aux risques naturels et technologiques prévisibles ». Ce texte étant désormais inséré via l’article L 125.2 du code de l’environnement.
Avec le recul, c’est un paradoxe que la loi de 1987 fondatrice de l’information préventive portée par la direction de la sécurité civile du ministère de l’Intérieur ait été en pratique mise en œuvre par le ministère de l’environnement.
En effet, à la même période, sous la pression des évènements accidentels mais également de celle de certains acteurs opérationnels, cette direction a connu une profonde mutation stratégique privilégiant désormais la gestion opérationnelle et l’organisation de la gestion de crise.
De ces années, s’opère une véritable scission des problématiques de sécurité civile et de gestion des risques dans notre pays.
Le ministère de l’Intérieur a compétence dans la sécurité civile dite opérationnelle, consolidée par la loi n° 2004-811 du 13 août 2004 dite de « modernisation de la sécurité civile » basée sur une organisation territoriale très structurée autour des préfets de zone de défense et des préfets de département.
De son côté, le ministère de l’Environnement se saisit de façon très volontariste de la politique de prévention des risques et du nouveau concept d’information préventive des populations.
C’est la naissance par circulaire [2] notamment du Dossier départemental des risques majeurs (DDRM), du Dossier communal synthétique (DCS) aujourd’hui Transmission des informations au maire (TIM), du Document d'information communal sur les risques majeurs (DICRIM) et à partir de 2003 de l’Information acquéreur locataire (IAL) reprise dans l’article 125 -5 du code de l’environnement. On connaît par nature l’étanchéité qui prévaut entre les administrations centrales, qui rend souvent complexe la mise en œuvre de politiques publiques . Ainsi, depuis cette date la politique globale de gestion des risques dans notre pays est exercée de façon très cloisonnée par les deux ministères et leurs deux directions supports la direction de la Sécurité civile (DSC, aujourd’hui Direction générale de la Sécurité civile et de la Gestion des crises (DGSCGC)) et la DGPR (Direction générale de la prévention des risques).
Aussi, pour être pragmatique le gouvernement a- t-il confié aux préfets de département le rôle d’ « assemblier » des politiques publiques déclinées par chaque ministère. C’est effectivement la mission des préfets de diriger l’ensemble des services déconcentrés de l’Etat et d’assurer la cohérence et la coordination des actions mises en œuvre. Force est de constater à l’épreuve du temps, que cette stratégie a ses limites. L’effet pyramidal des services locaux connectés en permanence à leur administration centrale constitue un frein permanent à une conjugaison rationnelle et efficiente des actions de l’Etat malgré les instances de coordination interservices que les préfets ont mis en place pour gagner en cohérence.
C’est dans ce contexte que la politique d’information préventive des populations n’a pu à ce jour être complétement prise en compte dans notre pays et déclinée dans nos territoires. Hormis quelques remarquables actions, notamment dans le domaine des risques industriels ou conduites par telle ou telle collectivité, le constat global, partagé par de nombreuses institutions, révèle que nos citoyens n’ont pas acquis cette culture du risque, plus proprement parlé cette culture de la sécurité.
Ainsi, d’autres voies méritent d’être explorées pour renverser cette tendance et rendre plus performante l’information préventive des populations dans notre pays. Parmi ces voies, au-delà de cet enjeu, beaucoup s’accordent à considérer la nécessité au plan structurel de créer à l’échelon gouvernemental une entité interministérielle regroupant toutes les compétences déjà citées des deux ministères et deux directions DGSCGC et DGPR. Avec comme premier fondement une structure rattachée directement au Premier ministre, ce qui la dote par essence à la fois d’une cohérence politique et d’un pouvoir accru pour la mise en œuvre des politiques publiques qu’elle engage.
L’expérience du secrétariat d’Etat Tazieff fût une première formule éphémère. Un ministre délégué auprès du Premier ministre « chargé de la protection des populations » en est une autre. Une délégation interministérielle placée auprès du Premier ministre peut être également envisagée.
L’essentiel est ce rattachement au Premier ministre. Seraient regroupées en son sein toutes les compétences générales et réglementaires liées à la prévention des risques, la sauvegarde, l’alerte des populations et l’information préventive y agrégeant les cadres et les experts des ministères concernés. La question se pose de savoir si la gestion de crise, traditionnellement rattachée au ministère de l’Intérieur doit également être rattachée à cette structure interministérielle. Les tenants de cette réflexion estiment que cela serait totalement cohérent dans cette démarche globale de gestion des risques mais certains experts considèrent que les esprits ne sont pas encore prêts pour une telle « révolution ». Ils constatent cependant que dans la crise sanitaire, d’aujourd’hui, la gestion de crise relève directement du Premier ministre en lien direct avec le Président de la République. Cette gestion du COVID ayant elle-même révélé les difficultés de dialogue et de cohérence entre les différents ministères.
Pour revenir à l’information préventive, elle serait sans nul doute la première bénéficiaire de ce projet de réorganisation institutionnelle au sein du gouvernement. En tout premier lieu, elle bénéficierait de l‘attention, de la priorité et du pouvoir conféré au Premier ministre. Elle regrouperait toutes les compétences, expertises, acteurs issus du terrain aptes à proposer ensemble des outils, des procédures et surtout des initiatives nouvelles et audacieuses pour promouvoir dans notre pays la culture citoyenne de la sécurité. Cette nouvelle entité lui offrirait un mode de gestion administrative totalement décloisonnée, fluide, partagée, en synergie rapprochée de toutes les idées et compétences utiles à la réussite de cette politique publique.
Elle en assurerait, ainsi, la cohérence pleine et entière avec les autres enjeux que sont ceux de la prévention des risques, des actions de sauvegarde ou d’alerte des populations. Le rapport du CGEDD préconise dans ce même mouvement de refonte, l’instauration d’une autre entité interrégionale multirisque, rattachée aux états-majors de défense. Certaines initiatives furent proposées en leur temps pour mettre en place, à l’échelon départemental, une structure interservices dite « direction départementale de la protection des populations et de la gestion des crises » regroupant les cadres et experts de la direction départementale des Territoires (DDT), Unité territoriale de direction régionale de l'Environnement, de l'Aménagement et du Logement, Agence régionale de Santé (ARS) etc.
Cependant, la culture et le mode de fonctionnement des états-majors de zone de défense, entièrement tournés vers l’opérationnel, ce qui est légitime, conduisent à considérer que cette proposition complexifierait au contraire la démarche souhaitée.
Au final, tant au plan politique qu’organisationnel, seule une entité nationale interministérielle placée auprès du Premier ministre détient la clef des évolutions nécessaires dans notre pays dans le domaine de la prévention des risques et particulièrement dans celui de l’information préventive des populations.
[1] Le décret 81-1012 du 12 novembre 1981 création sous gouvernement Mauroy Commissariat à l'étude et à la prévention des risques naturels majeurs Ce Commissariat est devenu, par décret du 23 juillet 1984 (relatif à la composition du gouvernement), le secrétariat d'État aux risques naturels et technologiques majeurs. le décret no 84-284 du 10 avril 1984 porte création d'une Délégation aux risques majeurs, secrétariat d’État et délégation étant rattachés au Premier ministre
[2] Circulaire DPPR/SDP RM n° 9265 du 21/04/94 relative à l'information préventive sur les risques majeurs. Consignes particulières : https://aida.ineris.fr/consultation_document/8235
// Cet article fait partie de la version extensive du Risque Infos n°43 sur le Web (le lire en PDF), il poursuit le dossier spécial sur l'information préventive de la revue papier que vous pouvez lire ici :
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