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Mémoire & retour d’expérience | Crue / Inondation

Retour sur les crues torrentielles dans le massif de belledonne

Publié le 27 septembre 2006

Par Sébastien Gominet

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Retour sur les crues torrentielles dans le massif de belledonne

Il y a tout juste un an, les 22, 23 et 24 août 2005, les crues de plusieurs torrents du massif de Belledonne ont causé des dégâts importants dans 16 communes du massif et de la vallée. Quatre mois après les inondations, Mme Garrigues, dont l’habitation située dans le lotissement des Chenevières à Domène, a été inondée par plus de 1,20 mètre d’eau et de boue nous a raconté le déroulement de l’événement et les difficultés qui ont suivies. Nous retranscrivons ici cet entretien à l’occasion de ce triste anniversaire et pour que l’on n’oublie pas…

En fin d’après midi, le fils de Mme Garrigues a été prévenu par un ami que le torrent du Domeynon commençait à déborder au pont de l’hôpital. « Vous allez être inondés » leur a-t-il dit. Madame Garrigues n’y a pas cru « parce qu’il ne pleuvait pas et qu’il n’y avait pas spécialement d’alerte. Et puis on n’avait pas l’habitude qu’il déborde. On pensait que si ça débordait, ce serait au niveau des papeteries. On pensait qu’on ne craignait rien ». Pourtant la famille Garrigues avait déjà vu le torrent à un niveau très haut, à raz des digues. « Ca a déjà mouillé le haut » précise le fils de Mme Garrigues.

 

Mme Garrigues était prête à se coucher lorsqu’elle a été alertée, vers 23 heures, par une animation inhabituelle pour cette heure dans la rue centrale du lotissement et par le bruit du Domeynon  en crue. L’eau coulait déjà dans les allées et passait derrière son habitation. Elle a juste eu le temps de monter quelques casiers à l’étage avec des papiers et des photos et de prévenir quelques voisins. « Je ne pensais pas que ça allait venir si vite. En l’espace d’une demi-heure, c’était foutu ». Vers 23h30,  il y avait déjà 30 cm d’eau dans les allées du lotissement et Mme Garrigues a décidé elle-même d’évacuer  avec sa voiture, pour la mettre hors d’atteinte. « A aucun moment nous n’avons été prévenus par la commune. Beaucoup de mes voisins étaient couchés et sont partis en pyjama. Moi je regardais la télé alors que c’était déjà inondé autour de la maison. On s’est prévenu mutuellement mais quand ça s’est produit il y aurait pu avoir la sirène. On aurait dû nous dire : « envisagez une éventuelle évacuation, préparez vous ». Après c’est à chacun de le faire ou pas, d’y croire ou pas. Mais au moins on aurait suivi les événements, on aurait été  informés. Là on a subis, on a été totalement ignorés et finalement on n’a pas pu sauver quoi que ce soit ». Selon Mme Garrigues, les gens sont partis calmement, sans paniquer même si l’évacuation s’est passée alors qu’il y avait déjà de l’eau dans les rues.

Vers 2 heures du matin l’eau atteignait une hauteur de 80 cm environ. Mme Garrigues a essayé de revenir trois fois chez elle pour sauver des biens et le fourgon de son mari, mais elle s’est arrêtée à chaque fois, le courant étant trop fort. Personne n’a essayé de l’empêcher de revenir vers son habitation. Un voisin a tenté la même chose avec l’aide des pompiers mais ils ont fait rapidement demi-tour et les plongeurs sont arrivés pour voir, maison par maison, s’il restait des gens à évacuer.

Par la suite, Mme Garrigues a fait le tour du lotissement et du stade plusieurs fois jusqu’au supermarché. La digue de la chantourne bloquait l’évacuation du débit du torrent vers l’aval et elle a vu les terrains se remplir d’eau comme une bassine et l’eau remonter vers les habitations. Mme Garrigues a demandé aux pompiers de faire sauter la digue de la chantourne pour limiter l’inondation du lotissement. « Personne n’a pris la responsabilité de la faire sauter. La peur était probablement d’inonder la zone industrielle. Mais le débit du Domeynon n’était pas si important que ça et je pense que la chantourne aurait pu l’absorber sans causer plus de dégâts sur l’aval car elle était basse. Ce que je n’admets pas, c’est qu’on ait été inondés autant pour une raison anormale. Maintenant qu’on a cette expérience il faut qu’on en garde le souvenir ». La digue a finalement rompu d’elle-même alors que les premières maisons des Chenevières étaient déjà sous 1,2 à 1,5 mètre d’eau et de boue.

Avec  cette hauteur d’eau dans les habitations, les objets flottent et se déplacent, même les plus gros (canapés, meubles…). Lorsque l’eau se retire, c’est un véritable spectacle de désolation qui attend les habitants. « Le choc psychologique est important. Tout est noir, tout est par terre, tout est cassé, renversé. C’est comme ça, après on encaisse ». Mme Garrigues  avait pourtant déjà vécu des inondations dans le midi de la France, près de Montpellier, chez ses parents (crue de la Lèze). Par deux fois leur maison avait été inondée sous 30 cm d’eau (maison construite avec un vide sanitaire). Elle connaissait donc le phénomène mais n’avait pas imaginé qu’il puisse prendre une telle ampleur. « Le fait d’être inondée, c’est quelque chose que je pouvais admettre mais 30 cm pas 1,20 mètre. A 30 cm  c’est un risque acceptable, à 1,20 m ça ne l’est plus ».

15 jours d’hôtel et trois semaines de soupe populaire ont suivis la catastrophe. La famille Garrigues a pu réintégrer son logement dès que le cumulus à fonctionné. Le réseau d’eau potable n’était pas endommagé. Les rapports délicats avec leur assurance et ses experts  ont ensuite laissé beaucoup d’amertume. Le litige porte actuellement sur l’indemnisation des biens. L’assurance a proposé une indemnisation de 16 000 euros alors que leur maison est assurée à hauteur de 79 000 euros. « L’ensemble du rez-de-chaussée et du garage a été complètement dévasté. L’assurance ne veut pas prendre en compte les dégâts sur les radiateurs, le cumulus, les placoplâtres, les prises d’électricité… Sans compter la décote à -60 % pour beaucoup de meubles et de matériels ». Mme Garrigues a fait une liste manuscrite avant de jeter ses affaires mais elle n’a pas pu tout marquer. « On est anéanti, il y a des gens qui viennent, qui proposent de vous aider, alors on jette et on ne prend pas forcément en photos, on ne pense pas forcément à le noter sur la liste. Et puis les bennes ne sont pas là longtemps, il faut en profiter ».

Mr et Mme Garrigues on acheté leur maison dans le lotissement des Chenevières, en 1986, sur plan. Ils ont été informés à ce moment là que la zone était inondable par les crues de l’Isère mais selon Mme Garrigues, à aucun moment il n’a été question du Domeynon. Elle a été étonnée que la maison ne soit pas construite sur vide sanitaire et qu’il n’y ait pas de prescription particulière vis-à-vis du risque d’inondation. Le règlement de copropriété indique pourtant qu’il est interdit de faire des clôtures de plus de 1,2 m et des murets de plus de 20 cm pour que les barques puissent circuler en cas d’inondation. Lors de la construction des maisons, il n’y a donc jamais eu de doute, selon Mme Garrigues, sur le fait qu’on était en zone inondable… mais de l’Isère.

Lors d’une réunion publique qui a suivi la catastrophe, des crues anciennes du torrent ont été évoquées. « Les anciens ont dit que Le Domeynon avait débordé 50 ans en arrière. C’était au même endroit mais il n’y avait pas d’habitation. A l’époque c’était le spectacle du dimanche ». Et puis le torrent s’est vite fait oublié. « Au bout d’un moment on oubli le risque, il y a des historiques qui se perdent. Pourtant c’est un torrent et à partir du moment où il a été canalisé, il y a un risque. Je serai inondée à nouveau un jour c’est sûr. Par le Domeynon ou pas l’Isère. Mais au moins il faut qu’on ait gardé une trace de ce qui est arrivé pour ne pas recommencer les mêmes erreurs. Plus la mémoire est collective, mieux c’est ».

Comme beaucoup de sinistrés, Mme Garrigues a besoin aujourd’hui de passer à autre chose. « Effacer les traces, permet de faire le deuil de son inondation. Quand on a changé les fenêtres, ça a fait du bien. Aujourd’hui j’ai envie de demander un permis pour construire un étage de plus. La question aujourd’hui est : que va-t-on accepter de perdre dans l’avenir ? ».

 

En savoir plus :

> Lire aussi l'interview de Monsieur Barnier sinistré lors du même événement :
http://www.irma-grenoble.com/01actualite/01articles_afficher.php?id_actualite=104

> Coût des dégâts dus à l'événement et modalités de mise en œuvre et de financement des travaux à réaliser : compte rendu de la réunion du 3 novembre 2005 entre le préfet et les maires concernés
http://www.irma-grenoble.com/01actualite/01articles_afficher.php?id_actualite=106

> Les communes reconnues Cat-Nat :
http://www.irma-grenoble.com/01actualite/01articles_afficher.php?id_actualite=98



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