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La Nuit de la crise, ou comment préparer les étudiants à la gestion de crise

Publié le 20 avril 2023

Par Camille Chaussinand

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La Nuit de la crise, ou comment préparer les étudiants à la gestion de crise
Nuit de la crise jouée par les étudaints de SciencesPo Grenoble © Sébastien Gominet

La toute première édition de La Nuit de la crise s’est tenue dans les locaux de SciencesPo Grenoble, en décembre 2022. Pendant plusieurs heures, les étudiants du master Communication Politique & Institutionnelle (CPI) se sont initiés à la gestion de crise lors d’un exercice de simulation d’accident en montagne grandeur réelle.

Les crises nous obligent à anticiper

Les crises ont en tout temps été bouleversantes pour l’humanité et ont façonné notre monde, notamment par des conflits armés. Notre époque contemporaine bâtie sur un système économique et social mondialisé, a connu plusieurs crises qui ont révélé l’incapacité de notre système à surmonter ces phénomènes. La crise sanitaire du COVID-19 en a été le parfait exemple. Nous n’étions pas prêts.

La crise climatique et écologique, qui assèche fortement nos ressources naturelles donc vitales, ajoutée à la crise migratoire qu’elle entraine déjà, va fortement s’amplifier. Les crises politiques et la défiance des peuples envers leurs représentants est croissante, et ce phénomène touche en premier lieu les démocraties. La crise géopolitique qui s’est concrétisée par la guerre en Ukraine va entrainer une crise économique et sociale intense. L’enchevêtrement de ces crises qui se multiplient provoque un sentiment de « chaos » au sein des sociétés occidentales [1]. Ces dernières années nous rappellent notre vulnérabilité collective face à un processus de crise non-contrôlé car il n’a pas été préparé en amont. Il devient alors urgent de nous former à enfin comprendre les causes pour les faire évoluer plutôt que de panser des conséquences de plus en plus irréversibles.

Une station fictive et un accident fictif mais des équipes bien en place pour simuler cette crise pensée comme un atelier pédagogique à destination des étudiants.

Alors que nous vivons un temps où l’information se diffuse à une telle vitesse qu’elle oblige l’émetteur à anticiper les conséquences de son message, tout évènement rendu public devient difficile à maitriser d’un point de vue communicationnel.

Gérer une crise d’une ampleur nationale comme locale s’apprend, non pas uniquement par le prisme d’acquis théoriques, mais par l’expérience, et par des exercices de simulation. Le 15 décembre à SciencesPo Grenoble s’est tenue la première édition de La nuit de la Crise en France, un programme inédit dans un Institut d’Études Politiques. Je vous raconte.

Une simulation de crise comme si on la vivait

© SciencesPo

Le téléphone sonne dans la salle Domenach de SciencesPo Grenoble qui abrite les étudiants de l’équipe « secours & préfecture ». L’alerte est lancée. Un téléphérique vient de tomber en pleine station de PréBrune en Isère. Les pelotons de gendarmerie de haute montagne sont les premiers à aller sur place tandis que la préfecture met en place une cellule de crise. S’en suit plusieurs transmissions d’information et actes de communication entre les secouristes, les élus communaux, le préfet jusqu’au ministère. Le tout animé par un pôle presse qui veut diffuser l’information. Une station fictive et un accident fictif mais des équipes bien en place pour simuler cette crise pensée comme un atelier pédagogique à destination des étudiants. L’objectif est de former les étudiants à la gestion de crise par une simulation à taille réelle en interprétant le rôle des différents acteurs concernés par la situation, eux-mêmes présents pour les orienter et les conseiller.

Pendant tout un semestre, les étudiants ont rencontré des professionnels aux profils multiples : agence de communication sportive, directeur d’équipement de montagne, chef-fe de cabinet… Ils sont venus à leur rencontre pour commencer à les former et les informer sur la gestion de crise. Le jour J, les étudiants ont eu l’occasion d’appliquer leurs recommandations. Certains d’entre eux étaient présents dans les différents groupes pour les conseiller en temps réel.

De la gestion de projet à la gestion de crise

© IRMa / Sébastien Gominet

La création d’un tel évènement a mobilisé l’énergie et la créativité des étudiants à partir du moment où l’on a évoqué le nom de la soirée jusqu’à la date clé. Ils se sont chargés de créer eux-mêmes des groupes de travail avec pour mission d’inviter des experts, de faire la communication sur les réseaux ou encore de gérer les relations avec la presse. Des étapes importantes dans la gestion de projet qui ont un objectif pédagogique et d’immersion dans le quotidien d’un communicant. De la création de l’affiche critiquée par une consultante experte en graphisme, jusqu’à la création et l’animation du teasing sur Instagram.

Ces groupes de gestion de projet sont ceux qui ont joué les quelques heures de l’exercice en compagnie des acteurs professionnels qui ont contribué à la réussite de l’exercice inédit. Quatre groupes ont dicté les péripéties de la soirée :

  1. un groupe secours/préfecture avec le commandant du PGHM de l’Isère et un membre du cabinet du Préfet de l’Isère chargé de la prévention des risques ;
  2. un groupe station/collectivité territoriale avec un directeur de remontées mécaniques, deux directeurs d’agences de communication évènementielle sportive, une responsable communication de collectivité territoriale, une avocate en droit public ;
  3. un groupe Ministère de l’Intérieur avec un directeur de la communication du privé ancien conseiller en communication ministériel ;
  4. et enfin, un groupe presse qui a eu l’occasion d’organiser des interviews et des conférences de presse comme s’ils avaient leur carte professionnelle.
© IRMa / Sébastien Gominet
© IRMa / Sébastien Gominet
 
Au fur et à mesure de la soirée,  étaient apportés des éléments nouveaux créés ou montés pour stimuler leur créativité et les forcer à s’adapter

© Camille Chaussinand

« Aucune consigne n’avait été donnée aux étudiants. Ils devaient simplement assurer la gestion logistique des salles mises à disposition par l’établissement et faire en sorte que les intervenants extérieurs trouvent leur place dans cet exercice. Ils n’avaient comme carte de départ de cette simulation, que l’élément de base : un accident de téléphérique. Au fur et à mesure de la soirée,  étaient apportés des éléments nouveaux créés ou montés pour stimuler leur créativité (cf. la vidéo d’annonce de la disparition d’un célèbre guitariste anglais dans le drame). Un peu comme des cartes de jeu qui viendraient orienter une partie de 1000 bornes, ces nouvelles péripéties intégrées ont fait évoluer leur vision de l’évènement et les a forcés à s’adapter directement en temps réel comme s’ils étaient dans de vraies conditions. Un déroulé avait été pensé avec eux, pour que nous puissions nous réunir à trois reprises dans le grand amphithéâtre mobilisé pour l’occasion, dans l’objectif de séquencer la soirée avec des pauses qui permettaient de débriefer et de prendre de la hauteur sur les apports pédagogiques du jeu. Les étudiants du Master, ainsi que toutes celles et ceux qui sont venus participer à la première édition de la Nuit de la crise, ont pu s’essayer pendant plusieurs heures à gérer ce drame fictif. »

© Camille Chaussinand
© Camille Chaussinand

Le retour d’expérience

« Les étudiants étaient inquiets face à la charge de travail que cet évènement pouvait demander. Ils s’inquiétaient aussi que l’exercice pédagogique laisse beaucoup de place à un déroulé au fil du temps du fait de l’injection dans cette simulation de cartes « nouvel élément » lorsque la situation stagnait, comme dans un escape game. L’objectif était vraiment d’en dire le moins possible jusqu’au jour J pour qu’ils puissent découvrir les aléas du « direct ». Ce fut une réussite.

Toutefois, pour la prochaine édition, surtout si elle s’ouvre au grand public et est dupliquée dans d’autres Instituts d’études politiques, il faudra anticiper l’organisation du jour J pour mettre les étudiants dans une situation plus confortable. L’objectif n’étant pas d’impacter la réussite de leur premier semestre, bien au contraire.

Les retours des étudiants, comme ceux des journalistes présents sont très positifs. Néanmoins un axe d'amélioration se dégage : ce sont les étudiants qui ont l'habitude de se mettre en avant qui prennent davantage les choses en main. Laissant ainsi certaines et certains légèrement en retrait de l'exercice. Aussi, pour les prochaines éditions, les rôles seront prédéfinis avec eux. Un constat positif : chaque groupe avait décidé de nommer une ou un représentant : préfet, maire de la station, journaliste… pour véritablement prendre le costume des entités qu’ils représentaient.

La présence des caméras de France 3 a permis de faire un exercice de média training des plus efficaces.

La présence des caméras de France 3 a permis de faire un exercice de média training des plus efficaces. Celles et ceux qui jouaient des rôles, accompagnés par leurs conseillers, ont pu donner des interviews comme cela aurait pu être le cas hors simulation pédagogique. Une immense chance pour les étudiants.

L’immersion totale qui animait l’ensemble des participants a montré la réussite de l’ évènement. Il n’y a pas eu de débriefing en cours d’exercice pour ne pas briser la dynamique intéressante qui se mettait en place. La conférence de presse finale a été animée et le débriefing de fin qui a suivi a permis de faire un premier retour d’expérience très enrichissant sur ce qui a fonctionné ou non. 

« Cet exercice, je le façonne depuis environ deux années. Si le retour de la pandémie m’a empêché de pouvoir le proposer aux étudiants dans le cadre des cours que je donne au sein du Master CPI (Communication Politique et Institutionnelle), je fais intervenir des personnalités et experts d’horizons différents : du milieu politique, du milieu institutionnel, du milieu privé… qui sont venus raconter une crise, et la gestion qui en a découlé, qu’ils ont connu dans leur carrière. S’imprégner de l’expérience et de l’expertise d’acteurs de terrain pour mieux comprendre les crises et essayer d’adapter la gestion que l’on peut en faire.  À ma sortie de SciencesPo et à mon arrivée à l’Assemblée nationale, j’ai pris conscience du décalage qui pouvait séparer les cours du réel. J’ai donc saisi l’opportunité de pouvoir proposer des cours de manière libre, sur ma thématique de prédilection, à savoir la communication, pour apporter une expérience et un projet professionnalisant. Je reste très fier de ce premier évènement, des enseignements pédagogiques qui en sont la conséquence, et du retour presse de l’évènement qui permet aussi de faire une belle promotion pour l’établissement. Je compte désormais proposer une Nuit de la crise dans tous les SciencesPo de France, avec des scenarii qui diffèrent en fonction des caractéristiques locales. Typiquement, une crise viticole pourra être l’objet d’un exercice de simulation à SciencesPo Bordeaux. »

Je tiens à remercier Haithem Guizani, directeur du master CPI, grand acteur et soutien de ce projet, et Jordan Guéant, journaliste à France 3, pour sa constance dans ses réponses à mes invitations.

 

 

[1] Stéphane Rozès. (2022). Chaos, Essai sur les imaginaires des peuples. Les éditions du Cerf.



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