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Vigilance et alerte

Inondations dans l’Aude d'octobre 2018 : réflexions autour d’une vigilance rouge décrite comme trop tardive

Publié le 27 novembre 2018

Par Sébastien Gominet

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Inondations dans l’Aude d'octobre 2018 : réflexions autour d’une vigilance rouge décrite comme trop tardive
Un repère de crue trouvé rue de la Francette à Puichéric et qui laisse penser que la crue de 1940 a été dépassée © Photothèque IRMa / Sébastien Gominet

On a beaucoup entendu dire que la vigilance rouge avait été déclenchée trop tard. Ce qui, dans un sens, est vrai puisqu’elle a été diffusée le lundi 15 octobre à 6h00 alors que les pics de crues avaient été atteints dans la nuit à Villegailhenc, Conques-sur-Orbiel ou Villalier par exemple. On a beaucoup moins entendu dire que la vigilance orange avait été déclenchée dès le dimanche matin à 10h20 et que la lecture du bulletin de suivi associé à la carte nationale permettait à tous de comprendre qu’un important événement se préparait… même si les quantités de précipitations attendues n’étaient alors pas complètement justes [1]. La question n’est donc peut-être pas de savoir si les outils de prévisions de Météo France pourraient être améliorés ou non mais plutôt de se demander comment former élus et habitants à interpréter cette vigilance et à rester sur leur garde.

Car on a aussi entendu dire, comme lors de chaque inondation importante, qu’il y avait trop de vigilance orange. Que celle-ci était donc banalisée et qu’elle ne servait donc pas à grand chose. Les archives disponibles sur le site dédié de Météo France (http://vigilance-public.meteo.fr/) nous montrent, à notre avis, le contraire. Le département de l’Aude a connu en 2018 trois vigilances oranges « pluie inondation » avant celle du 14 octobre : les 7 et 8 janvier, les 28 février 1er mars et les 9 et 10 octobre. Sachant que ce dernier épisode, précédé lui-même d’une vigilance orange « orage » les 8 et 9 octobre a probablement eu des conséquences sur l’événement catastrophique du 15 octobre en saturant en partie les sols d’eau, il nous semble qu’il serait préférable d’insister auprès du grand public sur la nécessité d’être particulièrement attentif quand deux « vigilance orange » se suivent à quelques jours d’intervalle plutôt que sur le fait que trois « vigilance orange » sans crue historique majeure empêcherait de prendre correctement la mesure de la quatrième. Nous devons travailler ensemble, politiques, journalistes, associations, bureaux d’étude et experts à cette nécessaire responsabilisation des publics concernés [2].

En effet, l'Institut des Risques Majeurs est convaincu que le bulletin du dimanche matin à 10h20 n’avait rien de rassurant et qu’il invitait même fortement à rester vigilant [3]. Pourtant, les quelques habitants rencontrés à Villegailhenc ou à Villalier par exemple [4] nous ont indiqué s’être couchés sereins, sans inquiétude, avant d’être réveillés en pleine nuit par la montée des eaux. Plus bas dans la vallée, à Saint-Marcel-sur-Aude, une employée de la mairie, elle même inondée par plus de 2,5 mètres d’eau dans sa maison nous a raconté qu’elle était passée le lundi 15 octobre au matin dans le quartier avec des collègues pour inciter les habitants à évacuer mais que beaucoup n’avaient pas voulu partir (on était alors pourtant en vigilance rouge « pluie inondation »), notamment parce qu’il faisait beau et qu’ils ne croyaient donc pas à l’inondation (dans ce secteur, environ quinze personnes ont finalement été évacuées par les pompiers en barque).

On peut donc se demander si une vigilance rouge diffusée quelques heures plus tôt aurait changé en profondeur la gestion de la crise, comme certains commentaires le laissaient entendre juste après les événements ? On peut se demander combien d’habitants auraient mis en sécurité leurs biens lorsqu’il faisait encore beau ? Combien d’entre eux auraient accepté d’évacuer leur habitation sous le soleil ou sous une pluie fine ? Quand bien même Météo France serait capable de prévoir suffisamment à l’avance (« suffisamment à l’avance » restant très subjectif…) ce type de crue, combien d’habitants seraient prêts, pour mieux les anticiper, à prendre des mesures alors qu’il ne se passe encore rien ? Quel serait le poids des autorités pour les convaincre alors que la crue n’aurait même pas encore commencé [4] ? Or, pour des crues aussi rapides, c’est à ce moment là qu’il faut agir car une fois l’événement débuté, il est déjà trop tard, surtout quand il se produit de nuit : dans les communes en amont du bassin versant de l’Aude situées le long des rivières le Trapel et l’Orbiel il s’est passé 3 à 4 heures entre le début des fortes précipitations (23h00) et le pic de crue (vers 03h00). A Trèbes, le pic de crue de l’Aude a été atteint en 6 heures environ comme l’indique l’histogramme de crue du site Vigicrues :

histogramme crue Trebes
© https://www.vigicrues.gouv.fr/

 

Donc oui, il faut anticiper, mais cette anticipation ne peut reposer uniquement sur l’attente d’un passage d’une vigilance orange à une vigilance rouge. Elle repose autant, si ce n’est plus, sur la formation des élus et la responsabilisation des populations concernées qui leur permettra de prendre des mesures d’alerte, d’évacuation et de mise en sûreté à partir de la mise en vigilance de chacun…[5].

Il ne nous semble donc pas constructif voire irresponsable de rappeler sans cesse la colère des sinistrés (voir l’interview d’Emmanuel Bocrie, ingénieur Météo France, sur BFMTV : https://www.dailymotion.com/video/x6vjc48) et de faire porter le débat sur la vigilance météo qui aurait dû être orange ou rouge, qui aurait dû arriver deux ou trois heures avant, qui aurait dû être ceci ou cela. Il faut au contraire profiter de ces moments malheureux pour entamer d’autres débats sur le sujet des inondations : est-ce que les informations sur le Plan de Prévention des Risques inondation du Trapel à Villegailhenc avaient bien été diffusées et comprises par l’ensemble de la population ? Est-ce que les habitants de Trèbes connaissaient les cartes des zones inondables du TRI (territoire à risques importants d’inondation) de Carcassonne ? Est-ce que les Plans Communaux de Sauvegarde des communes étaient opérationnels et quel était le niveau d’implication de la population sur le sujet ? Etc… Mais nous avons bien conscience que c’est moins vendeur que la colère des sinistrés.

Or, cette colère des sinistrés, mise en scène par certains médias, nous la rencontrons assez peu sur le terrain. Ils sont abattus, fatigués, épuisés, nerveusement et physiquement mais rarement en colère. Essayons donc de ne pas aller la chercher, de ne pas l’attiser. Car jeter Météo France en pâture à la vindicte populaire (voir ici sur BFMTV :https://www.dailymotion.com/video/x6vkglv)  ne résoudra jamais les problèmes que nous avons en France sur le sujet des inondations et sur le manque béant de culture du risque sur le sujet. Il faut venir à toutes ces réunions publiques organisées en France par des élus qui ont pris la question des inondations à bras le corps et qui parlent en compagnie de la Préfecture, des services de l’Etat et des sapeurs-pompiers face à des salles quasiment vides. On y voit une autre face du problème…

C’est en tout cas pour que l’expérience des uns puisse participer à la prise de conscience des autres que notre association réalise ce travail de collecte d’information sur des inondations survenues en région Auvergne-Rhône-Alpes et plus ponctuellement ailleurs en France (travail forcément très incomplet et perfectible…). Car malgré tout ce qu’on peut dire, les inondations catastrophiques comme celles qui viennent de se produire dans l’Aude sont rares à l’échelle d’une vie humaine et d’un territoire donné. Pour arriver à se représenter le risque présent à sa porte, il est donc nécessaire d’aller voir ce qui s’est passé ailleurs. Pour cela nous avons besoin des témoignages des sinistrés qui sont souvent prêts, malgré leur malheur, à partager ce qu’ils savent, ce qu’ils ont vu et observé. Qu’ils en soient ici sincèrement remerciés, car ces témoignages sont précieux. Ils ont été les témoins de l’exceptionnel, de l’inimaginable. L’inimaginable qui s’était déjà produit, dans l’Aude (mais pas partout dans l’Aude !), en 1891, en 1930, en 1940, en 1999. Et qui se reproduira un jour, ici ou ailleurs.

En attendant la mise en ligne complète de l’ensemble des photographies faites les 17 et 18 octobre derniers sur le bassin versant de l’Aude, en voici donc une courte sélection, avec ci-dessous une carte des cours d'eau et des communes visités :


© Fond Géoportail.

 


Champs inondés autour de Cuxac d'Aude. A noter que le centre de la commune n'a pas été inondé comme cela avait été le cas en 1999. La digue a joué son rôle.

 


Avenue de Narbonne à Saint-Marcel-sur-Aude.

 


Rue des Horts à Saint-Marcel-sur-Aude.

 


Rue des Horts à Saint-Marcel-sur-Aude.

 


Rue du 4 septembre à Saint-Marcel-sur-Aude.

 


Rue Jean Jaurès dans le centre de Puichéric.

 


Rue de la Rigole dans le centre de Puichéric.

 


Rue de la Francette dans le centre de Puichéric.

 


Entre la base nautique et la D610 à Puichéric. En arrière plan, l'école, elle aussi inondée.

 


Chemin de la Lande à Trèbes.

 


Place de l'Hôtel de ville à Trèbes

 


Chemin de la Lande à Trèbes.

 


Villegailhenc : vue depuis le pont de la rue du Minervois (RD35) vers le pont de la D118 qui a été emporté par la crue du Trapel.

 


Rue du Minervois (RD35) à Villegailhenc (hauteur de l'inondation dans les habitations : 2,80 mètres)

 


Chemin des Eclauze (RD35) à Villegailhenc

 


Chemin des Eclauze (RD35) à Villegailhenc

 


L'église de Villegailhenc

 


Une salle de classe de l'école de Conques-sur-Orbiel.

 


Terrains de tennis de Conques-sur-Orbiel situés entre l'école et la rivière.

 


A Villalier, en rive droite de l'Orbiel, depuis la D620.

 


La D620 emportée par la crue de l'Orbiel à Villalier (on est ici à environ 200 mètres du lit mineur de la rivière).

 


La D201 emportée par la crue du Trapel à Villemoustaussou.

 

 

[1] De 150 à 180 mm sont prévus localement en 24h dans le bulletin du 14 octobre à 10h20, puis 200 à 250 mm en 24h dans le bulletin du 15 octobre à 02h05 et enfin 300 à 350 mm dans celui de 06h00.

[2] Sur ce sujet des vigilances orange qui se suivent et qui aboutissent à une grosse crue, voir le film sur l’inondation de Saint-Donat- sur-l’Herbasse dans la Drôme en 2008 : http://www.risques.tv/video.php?id_DTvideo=312

[3] 180 mm sont annoncés en 24h00 localement, ce qui est forcément inquiétant. Mais pour qui ? seulement pour des spécialistes ou pour n’importe quel habitant et élu concernés ?

[4] Nous nous sommes rendus dans l'Aude pour une reconnaissance de terrain les 17 et 18 octobre dernier, avec mon collègue Mathias Lavolé, dans le cadre de l'action "mémoire et retour d'expérience" portée par l'IRMa depuis près de vingt ans

[5] sur la difficulté à faire évacuer en cas d’inondation voir les films suivants : inondation de la commune de l’Arbresles (Rhône) en 2008 : http://www.risques.tv/video.php?id_DTvideo=447 et inondations en Drôme Ardèche en 2013 : http://www.risques.tv/video.php?id_DTvideo=485

[6] Voir à ce sujet le film sur le réseau « sentinelles » mis en place sur le bassin versant de la Brévenne et de la Turdine (Rhône) : http://www.risques.tv/video.php?id_DTvideo=452

 

En savoir plus :

> Freddy VINET (2003). Les crues torrentielles des 12 et 13 novembre 1999 (Aude, Tarn, Pyrénnées-Orientales, Herault). Editions du Temps
http://www.gred.ird.fr/content/download/73476/559291/.../crue_1999_aude_VINET.pdf

> Langumier, Julien - Zonabend, Françoise (Préface) (2008). Survivre à l'inondation : Pour une ethnologie de la catastrophe. Lyon : ENS éd.
http://www.irma-grenoble.com/05documentation/00bibliotheque_document_afficher.php?idDocument=1021

> Réflexion sur les consignes de sécurité en cas d'inondation : rester ou s'enfuir ? Et à quel moment ?
http://www.irma-grenoble.com/01actualite/01articles_afficher.php?id_actualite=682



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