Question extrêmement large ! L’impact du changement climatique en général est une question qui transcende l’intégralité des domaines et des zones géographiques sur lesquelles l’humanité est présente. Si on prend le cas des Alpes du Nord, l’impact du changement climatique sur les risques naturels peut s’étudier risque par risque, puisque le changement climatique est avant tout un changement des extrêmes météorologiques qui n’ont pas forcément tous le même impact sur le déclenchement des avalanches, des crues, des glissements de terrain, ou bien encore sur la déstabilisation des parois rocheuses. Il y a aussi les combinaisons entre ces divers risques à prendre en compte.
Il y a déjà des risques naturels en montagne de nos jours. Le changement climatique va avoir un impact sur la fréquence d’occurrence des phénomènes (est-ce qu’ils vont se produire plus souvent ou moins souvent à l’avenir ?), sur leur saisonnalité (est-ce que des processus qu’on connait aujourd’hui plutôt au printemps vont se produire aussi en hiver et réciproquement ?) et sur leur répartition géographique (est-ce que des phénomènes qu’on connait aujourd’hui à certaines gammes d’altitude vont se produire à d’autres gammes d’altitude ?). D’une manière générale, le changement climatique ce n’est pas l’émergence de nouveaux risques mais des changements dans les conditions d’apparitions ou d’occurrences de phénomènes, météorologiques et gravitaires, déjà présents.
Si on regarde la situation des zones de montagne, il se produit différents types de crues et d’inondations au cours de l’année, avec des crues nivales qui se produisent en général au printemps et qui sont liées à des précipitations importantes conjuguées à la fonte du manteau neigeux, et des crues orageuses d’été.
Selon les études internationales dont on dispose pour les Alpes, nous allons vers un accroissement de l’intensité des précipitations, c’est-à-dire de la quantité de pluies tombées pendant un épisode donné, en été comme en hiver. Nous nous dirigeons aussi vers une augmentation générale de la température à toutes les saisons, et donc, vers une limite pluie/neige moyenne de plus en plus élevée. Ceci conduit à des cumuls de précipitations plus souvent sous forme de pluie qu’actuellement.
Globalement, on projette donc que dans un premier temps, sous l’effet du changement climatique, on va plutôt avoir un accroissement des précipitations pluvieuses alors que le manteau neigeux sera encore présent. On risque donc d’être confronté à des crues nivales plus importantes, où se conjugueront précipitations importantes et fonte du manteau neigeux. C’est ce qu’on a connu, par exemple, en mai 2015 sur le bassin versant de l’Arve.
Dans un deuxième temps, l’enneigement va poursuivre sa raréfaction avec la poursuite de l’augmentation des températures à l’échelle planétaire, et on peut donc anticiper une baisse progressive de l’intensité des épisodes de crues au moment de la fonte nivale, puisque les stocks de neige seront moins importants en montagne. On tendra donc vers un régime de type pluvial.
Pour les crues estivales, liées aux orages soudains et brutaux sur le relief, les projections climatiques dont on dispose nous indiquent que l’on va vers un assèchement, en moyenne, des quantités d’eau qui tombent sur les massifs pendant l’été mais une intensification des orages. Ce qui signifie globalement moins d’eau, mais plus de précipitations concentrées sur moins de jours. Cela pourra avoir bien sûr des conséquences sur l’hydrologie des bassins versants et sur l’intensité des crues.
Dans la région méditerranéenne, le régime pluviométrique est très sec l’été, avec des orages, et plus humide à l’automne, avec des phénomènes de précipitations qui peuvent être très intenses. Pour nos zones de montagnes, le parallèle tient, dans une certaine mesure, quand on s’intéresse aux phénomènes estivaux, mais je ne suis pas complètement convaincu qu’on puisse tenir ce parallèle à l’automne, dans la mesure où, même dans un climat changé, plus chaud, on aura tôt ou tard de la neige à haute altitude qui se dépose, sauf à considérer des réchauffements extrêmes de fin de siècle dans les scénarios les plus pessimistes… Je ne suis donc pas convaincu qu’on aura, en tout cas dans les Alpes du Nord, le même type de phénomènes que dans le pourtour méditerranéen, phénomènes tel qu’on les connaît aujourd’hui, et tel qu’ils vont sans doute s’intensifier demain. Dans les Alpes du sud, la situation demeurera plus proche de ce qui se passe à proximité de la côte méditerranéenne, comme aujourd’hui.
On sait qu’une masse d’air chaude, peut stocker, sous forme de vapeur, plus d’eau qu’une masse d’air froide. Si on prend l’exemple de la buée qui se forme sur une vitre dans une voiture l’hiver, on sait très bien que si on chauffe l’habitacle, au bout d’un moment, la buée disparaît.
Dans une atmosphère plus chaude, il y a plus de mouvements turbulents, plus de mouvements convectifs, il y a plus de mouvements atmosphériques au sens large et finalement plus d’énergie dans le système. Donc une atmosphère plus chaude contient plus d’humidité, est plus turbulente, plus active, plus instable et peut conduire à des pluies plus intenses.
Il ne suffit pas, malgré tout, de dire « l’atmosphère sera plus chaude, donc les événements plus extrêmes ». La vraie question, c’est à quel point ? A quel point les précipitations seront plus intenses ? Il existe aujourd’hui beaucoup de travaux qui tentent de quantifier l’impact d’un réchauffement donné sur l’intensification des précipitations. On utilise notamment des modèles de climats qui permettent de représenter les évolutions de l’atmosphère.
Les résultats sont variables en fonction des cumuls de pluies auxquels on s’intéresse : sur 5 jours, une journée ou 12 heures par exemple.
Il y a aujourd’hui une convergence d’études, basées sur des observations passées et sur des modélisations climatiques en cours, qui ont permis de constater un accroissement des quantités de précipitations tombées au cours de la journée la plus pluvieuse de l’année. Une étude suisse, dont les projections peuvent raisonnablement s’extrapoler aux Alpes du Nord, a obtenu, suivant les cas, entre 5 et 10% d’augmentation de précipitation par degré de réchauffement planétaire.
Sachant qu’on a déjà gagné un degré de réchauffement planétaire par rapport à l’époque préindustrielle, l’augmentation de l’intensité des précipitations annuelles extrêmes a été au cours du XXème siècle de 7 à 8 %. A l’échéance du XXIe siècle on projette un accroissement qui peut atteindre selon le taux de réchauffement planétaire (1.5, 2, 3 ou 4° en fonction des émissions de gaz à effet de serre) de 10 à 30% d’augmentation de l’intensité des pluies maximales annuelles.
Aujourd’hui, on se concentre dans la littérature scientifique, sur des événements qui sont relativement rares mais qui se produisent quand même généralement au moins une fois par an. Et tout conduit à dire que ces événements vont devenir plus intenses à l’avenir. L’extrapolation pour les phénomènes beaucoup plus rares, qui sont en général lié à des situations d’orages stationnaires ou des phénomènes convectifs vraiment très intenses, n’est pas encore possible. Les modèles de climat utilisés aujourd’hui ne disposent pas de la résolution spatiale (leur résolution est de l’ordre de 10 km) ni des processus physiques qui permettent de reproduire ce genre d’événement.
Les recherches avancent malgré tout sur ce sujet et les futurs modèles permettront, je pense, d’apporter d’ici quelques années des réponses beaucoup plus précises sur les tendances concernant les événements vraiment extrêmes : ceux qui se produisent très rarement (tous les cent ans par exemple), avec des intensités très fortes, et sur des durées de temps très courtes.
La question de l’attribution d’un événement particulier au changement climatique est une question qui est posée régulièrement dans l’actualité et à laquelle il n’est pas possible d’apporter une réponse tranchée. En effet, le changement climatique concerne l’évolution du climat sur le long terme et il est nécessaire de raisonner à l’échelle de plusieurs décennies, au moins 30 ans, pour pouvoir dégager des tendances. Il y a toujours eu des événements rares ou extrêmes, plus ou moins extraordinaires, et le fait qu’il se produise une crue n’a rien d’original en soi. C’est quelque chose qui était déjà possible sans changement climatique.
La question à laquelle les scientifiques essaient de répondre est plutôt la suivante : un événement donné tel que nous l’observons aujourd’hui, se produirait-il moins souvent ou de façon moins intense s’il n’y avait pas de changement climatique ? Ou dans l’autre sens, est-ce que le changement climatique rend de tels événements plus puissants ou plus fréquents ? Donc, on essaye de comparer la probabilité qu’un épisode se produise dans le contexte du climat tel qu’on le connait aujourd’hui avec la probabilité qu’on aurait de le voir survenir sans le changement climatique amorcé depuis quelques décennies. Et effectivement au cas par cas on peut regarder pour un événement donné, quelle est la fréquence à laquelle on s’attend qu’il revienne dans un contexte de changement climatique.
Si un événement qui se produisait en moyenne un fois tous les 10 ans au cours des décennies précédentes, se produit avec des fréquences de retour d’une fois tous les 5 ans, voire une fois tous les 3 ans ou tous les ans, en moyenne, alors on peut dire dans une certaine mesure que la survenue de cette épisode a été favorisée par le changement climatique.
C’est, quelque part, un succès scientifique que les gens aient la présence d’esprit de penser que, peut-être, l’événement qui vient d’arriver est plus fort ou plus fréquent que ce qu’il aurait été sans changement climatique. C’est le signe d’une prise de conscience que le climat change, que cela se manifeste de plus en plus dans nos vies quotidiennes, et par certains côtés, c’est plutôt positif.
Mais on peut aussi le voir comme le signe d’un certain fatalisme face aux évènements climatiques. Il y a un peu de facilité à dire « c’est le changement climatique » alors que très souvent, des aménagements, des travaux, des pratiques agricoles, et plus globalement des politiques de développement ou de prévention des risques différentes permettraient qu’une précipitation donnée n’ait pas les conséquences catastrophiques qu’elle peut avoir parfois.
Deux degrés, c’est un chiffre qui a suscité beaucoup de discussion. Aujourd’hui, on sait que la trajectoire sur laquelle l’humanité est engagée nous amène à un réchauffement d’un degré et demi à peu près dans les années 2050 par rapport à l’époque préindustrielle. Et que le réchauffement contenu à 2 degrés en fin de siècle est une trajectoire ambitieuse, qui demande une forte réduction des gaz à effet de serre dès les prochaines décennies.
D’après les modèles climatiques qui sont utilisés par le GIEC et d’après toutes les études scientifiques qui sont utilisées pour faire les analyses et les synthèses sur le sujet, le réchauffement à l’échéance du 21ème siècle, si les émissions de gaz à effet de serre continuent sur la trajectoire actuelle, pourrait largement dépasser 2 degrés, et atteindre 3, 4 voire 5 degrés à l’échelle planétaire.
Donc, finalement, si on raisonne à l’échéance de la moitié du siècle, deux degrés c’est une indication qui est pertinente, maintenant si on raisonne à l’échelle de l’ensemble du 21ème siècle, et que l’on tient compte de l’ensemble des trajectoires possibles des émissions de gaz à effet de serre, deux degrés, c’est une cible relativement médiane, relativement intermédiaire par rapport à ce à quoi on peut s’attendre.
Effectivement le GIEC était chargé de rédiger plusieurs rapports spéciaux en attendant son prochain rapport principal qui sortira entre 2021 et 2022. Dans le cadre du rapport spécial « océan / cryosphère », il y a un chapitre sur la montagne, dans lequel je fais partie des auteurs. Notre mission est d’analyser les conséquences du changement climatique tant pour le passé que pour le futur sur la cryosphère de montagne, c’est-à-dire les glaciers, le manteau neigeux et le permafrost, et de préciser dans quelle mesure ces changements ont des implications sur les écosystèmes, les risques naturels, sur l’agriculture, sur la ressource en eau, sur l’hydroélectricité, les activités économiques et plus généralement sur les modes de vie en montagne.
Certes, les zones de montagne sont exposées à des risques naturels nombreux, liés aux pentes, et qui leur sont spécifiques. Il s’agit, par exemple, des mouvements de terrains, des avalanches, et des laves torrentielles. Mais pour être honnête, je serais bien en peine de dire aujourd’hui si les zones de montagne sont vraiment plus vulnérables que d’autres. Elles sont certainement exposées à des risques plus nombreux. Elles sont aussi sûrement exposées plus fortement que les régions de plaine aux changements de ces risques en raison des modifications à venir des régimes de précipitation, de la fonte des glaciers et du permafrost ainsi que de la raréfaction du manteau neigeux à certaines altitudes. Mais je pense que ce serait d’un certain point de vue faire injure à ces zones de montagne que de les considérer comme plus vulnérables. La question est peut-être différente en Himalaya ou dans les Andes, mais dans les pays développés, je pense que les zones de montagne ont des atouts spécifiques, des ressources spécifiques et une longue tradition de gestion de ces risques, qui ne me paraissent pas nécessairement conduire à ce qu’elles aient une vulnérabilité plus forte. Une exposition plus forte c’est très clair, des aléas plus forts et changeant, c’est très clair aussi, une vulnérabilité en tant que composante du risque auquel elles sont exposées, cela reste à voir !
La notion de point de bascule est une notion compliquée qui fait référence à des changements radicaux dans le système climatique à l’échelle de la planète toute entière. On pense notamment à l’éventuel ralentissement de la circulation océanique dans l’Océan Atlantique Nord ou à la fonte accélérée et « l’effondrement » des calottes de glaces au Groenland ou en Antarctique, qui pourrait avoir des conséquences majeures sur le niveau des mers. Effectivement, quand on aborde ces sujets-là, on touche de près ou de loin à la question d’un point de bascule, c'est-à-dire des événements irréversibles qui entraînent des changements brutaux et très profond du fonctionnement climatique au sens large et de ses conséquences pour les écosystèmes et les sociétés humaines.
En ce qui concerne les territoires de montagnes, le retrait glaciaire, qui est déjà bien avancé et qui va se poursuivre avec la disparition totale annoncée de la très grande majorité des glaciers des Alpes au 21ème siècle, pourrait avoir des conséquences majeures sur les risques naturels. Est-ce qu’on peut malgré tout appeler cela un point de bascule, je n’en suis pas convaincu ! En effet, ce recul glaciaire a beau être rapide, il est quand même graduel, année après année, et ses conséquences se feront sentir et pourront être analysées petit à petit. Même du point de vue de la ressource en eau, je ne suis pas sûr que l’on soit confronté dans l’avenir à un point de bascule. Au fur et à mesure que les glaciers vont reculer, leur contribution à la ressource en eau sera de plus en plus faible et finalement, on va probablement observer une transition d’un régime glaciaire à un régime nival puis pluvial, sans véritable point de bascule.
Le véritable point de bascule est peut-être plus dans nos têtes. Il concerne peut-être plus notre identité culturelle en tant qu’habitant des montagnes que les conséquences sur les risques naturels que le changement climatique peut avoir. On a été habitué, quel que soit notre âge, à considérer le fait que les zones de montagne en France, en Europe et dans le reste du monde sont très souvent recouvertes de glaciers, ce qu’on appelait il n’y a encore pas très longtemps la neige éternelle. C’est quelque chose qui est en train de disparaitre et le vrai choc, le vrai bouleversement, le vrai point de bascule c’est ce que cette disparition implique dans notre perception de la montagne.
Oui et non. C'est-à-dire que l’atmosphère restera l’atmosphère, la montagne restera la montagne, l’été il fera chaud, l’hiver il fera froid. Il neigera la plupart du temps mais de plus en plus haut en altitude... Je caricature un petit peu mais il faut bien comprendre que dans les 30 prochaines années, on ne s’attend pas à un changement radical de la face du monde. En revanche, on aura des écarts de plus en plus marqués entre ce à quoi on pourrait s’attendre aujourd’hui et ce à quoi on sera vraiment exposé.
A l’exception des phénomènes qui vont se produire à proximité immédiate des zones qui vont être affectées par le recul glaciaire (zones qui ne sont pas exposées à l’atmosphère depuis plusieurs siècles, et qui donc, vont avoir un comportement partiellement inconnu), on ne s’attend pas à des choses complètement nouvelles. Dans les secteurs qui sont actuellement recouvert de permafrost, on va avoir une poursuite des chutes de blocs, de la déstabilisation des parois rocheuses et des pentes, mais encore une fois, ce sont des choses qui existent déjà aujourd’hui.
En fait, on s’attend à voir apparaître des phénomènes déjà connus dans des endroits où on n’avait pas l’habitude de les voir. La surprise ne viendra pas de la nature des phénomènes observés, mais plutôt de l’endroit où ils se produisent et de la date de l’année à laquelle ils se produisent. On peut très bien imaginer, et d’ailleurs cela a déjà eu lieu et ça ne devrait donc plus nous surprendre, des épisodes de pluie sur neige au mois de janvier, des avalanches de neige humide au mois de décembre, des épisodes de fonte glacière accélérées dès le mois d’avril ou bien encore des sécheresses qui durent jusqu’au mois de novembre. Des choses que l’on rencontre aujourd’hui rarement, mais que l’on rencontrera sans doute plus souvent dans l’avenir et dans des endroits où on n’avait pas eu l’occasion de les observer jusqu’à présent.
// Article paru dans Risques Infos n°39 - août 2019, à consulter ici ou là :
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