Plan Communal de Sauvegarde (PCS)
Le samedi 3 octobre 2015, Météo France surveille un phénomène de pluies orageuses dans le Sud-Est. Les Alpes-Maritimes, les Bouches-du-Rhône et le Var sont placés en vigilance orange à partir de 11 heures.
Dans les Alpes-Maritimes, un premier message vocal de la préfecture est diffusé à partir de 12h44 via le système automatisé d’appels VIAPPEL aux responsables des 163 communes du département, en les invitant à « prendre les mesures qui s’imposent en pareille situation ».
Cinq personnes seront destinataires de l’alerte sur la commune sinistrée, dont trois en accusent réception. À 18 heures, la vigilance orange pour les orages est maintenue, avec une fin de l’épisode prévue pour 23 heures.
Le phénomène s’intensifie à 20 heures en atteignant le massif de l’Estérel, renforcé par l’effet du relief et l’air chaud et humide venant de la mer. La ligne orageuse redouble alors d’intensité et une réactivation du système est observée sur le sud du département des Alpes-Maritimes entre 20h45 et 21h30 avant que celui-ci ne se décale lentement vers l’est.
Ce phénomène météorologique se rapproche du lieu du drame pour y stagner de 20h45 à 21h30, générant des pluies de plus en plus intenses. La violence de l’évènement atteint son apogée pendant cette période, frappant durement la commune. À 22 heures, l’épisode est considéré comme terminé sur le territoire national.
Interrogé, un responsable de Météo France explique que « l’évènement est déjà sur site au moment où nous comprenons son intensité » et que « ce phénomène tel qu’il nous apparait aujourd’hui a posteriori, compte tenu de son intensité et de ses conséquences, est un évènement de vigilance rouge ».
Les témoignages recueillis par l’enquête concordent sur un point culminant en début de soirée, où les pluies augmentent soudainement en violence et en intensité, atteignant un pic paroxystique, accompagnées de débordements et de coulées de boue.
Malgré d’importants travaux de canalisation et de recalibrage, la rivière locale sort de son lit. Les bassins de rétention, d’une capacité de 17 000 m³ et mis en service au printemps 2007 après de précédentes inondations, ne résistent pas. Cela provoque une vague de submersion d’eau et de boue qui se déversera en aval. Ce phénomène de débordement, couplé aux fortes pluies, intensifie l’effet de chaos soudain et précipité confirmé par tous les témoignages recueillis lors de l’enquête.
Les casernes des sapeurs-pompiers et de la gendarmerie sont rapidement inondées. Le groupe électrogène du SDIS a pris l’eau et la caserne est coupée de toute communication.
Dans le même temps, un flot s’engouffre dans l’EHPAD et inonde le rez-de-chaussée jusqu’à 1,25 mètre de hauteur. Trois pensionnaires meurent noyés malgré les efforts du personnel pour tenter de les sauver.
La maire en fonction lors de l’inondation est poursuivie et condamnée.
Le tribunal retient « qu’en sa qualité de maire de la commune depuis 2014, mais également d’élue municipale depuis de nombreuses années jusqu’à être adjointe au maire entre 2006 et 2008, [elle] ne pouvait ignorer l’importance d’un Plan communal de sauvegarde en tant que cadre obligatoire de mesures d’urgence à prendre et à suivre au niveau de la commune en cas de survenance d’une situation grave exigeant une action rapide des pouvoirs publics locaux ».
C’est bien là le principal grief fait à la maire de la commune, le tribunal insistant sur l’importance du PCS comme élément de prévention des risques :
« Le PCS vise à une anticipation dans les procédures à suivre aux fins d’aider à la prise de décisions précises, rationnelles, coordonnées et efficaces, de sorte de ne pas être pris au dépourvu en cas de survenance d’un évènement grave, de ne pas être laissé sans boussole, sans cadre des premiers réflexes à avoir. »
Pour sa défense, l’élue invoquait le caractère non opérationnel du PCS pour justifier son inapplication.
Le tribunal écarte l’argument :
« La circonstance, pour un maire élu et connaissant un risque naturel spécifique bien identifié pour sa commune qui a subi de nombreuses inondations, d’ignorer totalement les mécanismes du PCS censé précisément l’aider à la prise de décision dans l’intérêt de ses administrés en cas de survenance du risque constitue à l’évidence une faute caractérisée qui a contribué au drame (…) ;
Si [l’élue] avait connu et maitrisé le PCS de sa propre commune, elle aurait alors été immédiatement avisée des prescriptions obligatoires de celui-ci, à savoir que dès la préalerte émise par le bulletin de la préfecture, il y avait lieu, par seul ordre de la loi et du règlement, de procéder à une "Mise en alerte des foyers implantés dans les zones inondables". Or rien n’a été fait, alors que le PCS édicte que : « Au titre de ses pouvoirs de police, le maire a l’obligation de diffuser l’alerte auprès de ses concitoyens. Cette mission est essentielle dans le cadre du PCS ».
« L’alerte doit pouvoir être réceptionnée par la commune de jour comme de nuit » ;
« Il est apparu à cet égard que Madame [la maire] ne maitrisait pas même les seuils d’alerte ».
Ce n’est pas la première fois qu’une juridiction se prononce sur le respect par une commune de ses obligations au regard du PCS. Déjà, après le passage dévastateur de la tempête Xynthia, il avait ainsi été notamment reproché au maire d’une commune vendéenne de ne pas avoir doté la commune d’un plan communal de sauvegarde qui aurait pu sauver des vies (Cour de cassation, chambre criminelle, 2 mai 2018, n° 16-8343).
Le tribunal correctionnel de Béziers (TC Béziers, 27 mai 2022, n° 14290000110) a pour sa part condamné deux anciens maires (commune de moins de 2 000 habitants) pour homicide et blessures involontaires suite à une violente crue qui avait entrainé la mort de quatre personnes dans un camping municipal qui surplombait d’environ 3 mètres le cours d’eau qui a débordé. Installé en 1982, le camping municipal était placé dans une zone déclarée inondable en 1989, tout comme une résidence et des lotissements voisins. La chambre d’instruction de la cour d’appel avait infirmé l’ordonnance de non-lieu rendue par le juge d’instruction. Ce dernier avait estimé que le phénomène était « à la fois imprévisible, irrésistible, extérieur et la cause exclusive des dramatiques évènements survenus » et que « l’appréhension et l’anticipation de ce phénomène étaient impossibles à établir ». La Cour de cassation avait confirmé le renvoi devant le tribunal correctionnel des deux élus. Il leur est reproché, pour l’un, de ne pas avoir mis en œuvre le PCS pour préserver le camping et de ne pas avoir formé le personnel, et pour l’autre de ne pas avoir fait évacuer le camping. S’agissant du PCS, le tribunal relève que diverses mesures prévues dans le PCS n’ont pas été mises en œuvre, comme l’installation d’une échelle de mesures du cours d’eau et de pluviographes ou pluviomètres.
Ainsi, en cas de catastrophes, les tribunaux vérifient non seulement que le PCS a bien été adopté, mais aussi qu’il a été suivi d’effets et correctement mis en œuvre.
D’où l’importance d’un suivi régulier et d’une appropriation collective. Les démarches qui se focalisent sur une approche strictement documentaire et réglementaire conduisent à des PCS ou à des PICS peu opérationnels qui tombent rapidement dans l’oubli. Sans travail actif de diffusion et d’appropriation du PCS (avec une approche managériale), la connaissance du plan reste entre les mains d’un petit nombre d’acteurs qui peuvent ne pas être en charge de sa mise en œuvre en temps de crise. Les obligations réglementaires sont remplies sur le papier, mais le but est manqué sur le terrain en cas de survenance du risque.
Les collectivités peuvent s’appuyer sur l’expertise de structures dédiées à l’accompagnement des élus, telles que l’Institut des risques majeurs de Grenoble dont SMACL Assurances est partenaire, et qui propose des programmes de sensibilisation à la gestion de crise, des exercices de déclenchement de PCS, des formations mediatraining... Un bon moyen de mettre à profit l’obligation réglementaire pour tendre à l’efficience opérationnelle dans un souci d’anticipation et de prévention des risques.
// Article paru dans la revue "Risques Infos" n°47, septembre 2024, à consulter ici ou là :
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