La gestion des risques, qu’ils soient naturels ou anthropiques, repose dorénavant sur une collaboration croissante entre diverses disciplines académiques. Une telle démarche pluridisciplinaire apparaît parfaitement adaptée à l’analyse d’un risque diffus et imprévisible, le risque sismique. Entre 1994 et 2013, les tremblements de terre ont tué près de 750 000 personnes dans le monde, soit plus que tous les autres désastres naturels réunis (CRED (Centre for Research on the Epidemiology of Disasters), 2015). Développer des approches innovantes se révèle donc indispensable dans des régions en développement, particulièrement vulnérables face aux séismes, comme c’est le cas de la région des Andes et notamment du Pérou.
Passionné depuis mon enfance par les cultures et civilisations anciennes, je suis diplômé d’un master en archéologie andine à l’université Paris I-Panthéon Sorbonne. Mon attrait pour la région sud-américaine remonte à l’année d’échange que j’ai eu l’opportunité de réaliser dans la capitale péruvienne Lima. En suivant dès la licence un parcours universitaire combinant Histoire et Géologie, la pluridisciplinarité a constitué un élément prégnant de mes études.
Je mène aujourd’hui des recherches de doctorat à l’université de Grenoble (UGA), dans le cadre du projet interdisciplinaire CDP (Cross-Disciplinary Project) RISK dédié à l’évaluation et gestion des risques. Mon sujet de thèse porte sur l’« enregistrement » de tremblements de terre par les vestiges archéologiques de la période inca (1300-1532 apr. J.-C.), dans la région de Cusco au Pérou. L’objectif de cette approche archéosismologique est ainsi de mieux caractériser et évaluer la sismicité régionale et les risques qu’elle génère au travers d’une étude des événements passés.
L’archéosismologie, parfois nommé « archéologie des tremblements de terre », est une discipline récente qui connaît son essor dans les années 80-90 en Europe (Fréchet, 2008; Sintubin, 2011). Cette dernière naît d’une préoccupation croissante de nos sociétés d’évaluer et quantifier le risque sismique afin de mieux s’y adapter et de s’en prémunir. L’enregistrement instrumental des secousses sismiques (sismographes) existe depuis seulement un siècle et n’offre pas un recul historique suffisant pour estimer de manière précise le risque dans toutes les régions du globe. Détecter des dommages d’origine sismique dans l’architecture de sites archéologiques c’est donc affiner notre connaissance de l’aléa et du risque sismique (UNESCO, 2012) en quantifiant plus précisément les temps de retour des séismes et les intensités maximales générées par ces derniers.
Au Pérou, l’absence complète de sources écrites préhispaniques (avant 1532) qui témoigneraient d’événements sismiques de cette période rend d’autant plus nécessaire le recours à des approches innovantes et complémentaires telles que l’archéosismologie. Les vestiges archéologiques deviennent alors un support d’information crucial pour le sismologue et l’archéologue. Quelles furent la source et l’intensité du séisme recensé, quand survînt-il et quelles furent les incidences sur la société qui le vécut ? C’est à ce très large spectre de questions que ma thèse s’attelle à répondre.
La région de Cusco représente, de ce point de vue, un espace particulièrement propice à la mise en œuvre d’un projet archéosismologique. Densément peuplée à l’époque inca, la région est aujourd’hui mondialement connue pour ses sites archéologiques monumentaux et très bien conservés que sont, entre autres, Machu Picchu, Cusco ou Ollantaytambo. Les sites inca de la région se composent en effet de nombreux édifices à la maçonnerie en pierre finement travaillée et aux dimensions impressionnantes. La zone est également traversée par un large complexe de failles actives responsables de séismes destructeurs dans le passé (1650, 1950). Néanmoins, leur comportement, et en particulier leur délai de récurrence, demeure très largement méconnu (Benavente Escobar et al., 2013; Wimpenny et al., 2020). Implantés à proximité de ces structures géologiques, les sites archéologiques inca et leur architecture singulière offrent un support d’enregistrement privilégié des événements sismiques passés (Fig.2).
Deux missions ont pu d’ores et déjà être menées au Pérou en 2019 aboutissant à la collecte d’une très grande quantité de données. 20 sites archéologiques ont ainsi été visités durant les trois mois de mission et, parmi eux, 17 arborent des dommages caractéristiques de l’activité sismique (Fig.3). Les campagnes de prospection, assistées d’une base de données développée pour l’occasion, constituent une étape fondamentale du projet de recherche (Fig.4) et le premier cas de prospection archéosismologique à grande échelle en Amérique du Sud.
Le recensement et la documentation d’un large corpus de désordres architecturaux d’origine sismique dans un si grand nombre de sites démontre l’intérêt et le potentiel d’une telle campagne de terrain. Les résultats semblent d’ailleurs indiquer l’occurrence d’au minimum un séisme majeur dans la région de Cusco avant la Conquête espagnole.
Malgré le manque encore criant de données complémentaires disponibles (cartographie des failles, données paléosismologiques, analyse des textes historiques…) qui complique la réalisation d’une synthèse globale de la sismicité régionale et de ses caractéristiques, l’approche archéosismologique que j’élabore s’intègre dorénavant au sein de programmes de recherche d’ampleur (projet Cusco PATA) et doit contribuer, à l’avenir, à élargir le champ de nos réflexions.
L’architecture mégalithique inca procède-t-elle des secousses sismiques récurrentes qui ont agité la région ? S’il est encore impossible de conclure à ce sujet, les stigmates architecturaux observés durant nos campagnes suggèrent une incidence non négligeable de ce type d’événement naturel sur la vie des populations andines.
Au-delà des intérêts scientifiques, ces campagnes de recherches ont permis de pérenniser la collaboration entre le laboratoire ISTerre et l’institut géologique et minier péruvien (INGEMMET) ainsi que de jeter les bases de nouveaux partenariats, comme c’est le cas avec la direction du Parc archéologique de Machu Picchu.
REFERENCES
Benavente Escobar, C., Delgado Madera, F., Taipe Maquerhua, E., Audin, L., Pari Pinto, W., 2013. Neotectónica y Peligro Sísmico en la Región Cusco (No. Boletín No.55), Serie C Geodinámica e Ingeniería Geológica. INGEMMET, Lima.
CRED (Centre for Research on the Epidemiology of Disasters), 2015. The Human Cost of Natural Disasters. A Global Perspective. UCL-IRSS-USAID-UNISDR, Brussels.
Fréchet, J., 2008. Past and Future of Historical Seismicity Studies in France, in: Fréchet, J., Meghraoui, M., Stucchi, M. (Eds.), Historical Seismology. Interdisciplinary Studies of Past and Recent Earthquakes., Modern Approaches in Solid Earth Sciences. pp. 131–145.
Sintubin, M., 2011. Archaeoseismology: Past, present and future. Quaternary International 242, 4–10. https://doi.org/10.1016/j.quaint.2011.03.056
Wimpenny, S., Benavente, C., Copley, A., Garcia, B., Rosell, L., O’Kane, A., Aguirre, E., 2020. Observations and dynamical implications of active normal faulting in South Peru. Geophysical Journal International 222, 27–53. https://doi.org/10.1093/gji/ggaa144
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