Assurance Cat-Nat | Changement climatique
Il y a quelques années, un dirigeant d’une grande compagnie d’assurances française annonçait sombrement qu’un monde à 4 degrés ne serait plus assurable. Les récents évènements en Californie, où des dizaines de milliers de maisons sont parties en fumée alors que les assureurs venaient de se retirer du marché, laissant les Californiens démunis face à la catastrophe, semblent confirmer ce diagnostic. Faut-il se préparer à un monde inassurable ? Ou faut-il, au contraire, trouver les moyens de continuer à protéger les populations et si oui, comment ? C’est aux réflexions autour de cette dernière alternative que nous essayons, au sein de la chaire PARI, de contribuer.
Le problème de l’assurabilité des catastrophes n’est en réalité pas nouveau. Il a fallu en effet attendre la deuxième moitié du XXe siècle pour que certains pays au moins, dont la France, embrassent des mécanismes assurantiels pour indemniser les populations des dommages dus aux catastrophes naturelles : avant cela, et même si des débats récurrents ont lieu à l’Assemblée nationale dès la fin du XIXe siècle, les catastrophes sont considérées comme des « actes de Dieu », qui par définition échappent à la régularité des phénomènes collectifs sur laquelle s’appuie l’assurance. La prise en charge des dommages a été rendue possible par des mécanismes de mutualisation large, associant le plus souvent acteurs publics et privés, chaque État ayant adopté son mécanisme de solidarité propre. En France s’est ainsi imposé, au cours du dernier demi-siècle, un régime assurantiel où la protection est parmi les plus étendues, à la fois en termes de périls couverts et de populations bénéficiant de cette couverture.
Cependant, l’accélération de l’occurrence des phénomènes naturels de grande ampleur, couplée à des données de plus en plus granulaires et des modèles de plus en plus précis a récemment remis en cause des solutions que l’on croyait pérennes jusqu’il y a peu. Les modèles qui se sont développés à partir des années 1990 permettent en effet aujourd’hui de connaitre assez précisément les risques pour conduire certains assureurs à rehausser leurs primes et/ou à sélectionner leurs risques. Ainsi, alors que l’assurance des inondations en Grande-Bretagne ne semblait pas poser de problèmes jusque dans les années 2010, Le DEFRA (le département en charge de la protection environnementale) a tiré la sonnette d’alarme en 2013 : sous l’effet combiné de la fréquence croissante des sinistres et de la granularité des modèles, les primes dans les zones inondables devenaient inabordables pour les plus vulnérables. Un pool de réassurance, Flood Re, a vu le jour en 2016 pour contrer le phénomène, en proposant des primes indexées sur les ressources du ménage, mais non sur leur risque. Le pool permet aussi en cas de sinistre de reconstruire de manière plus résiliente en faisant porter le surcout associé à la prévention sur tous les assureurs (associés dans le pool à hauteur de leur part de marché). Flood Re est censé fermer boutique en 2039, après avoir accompli sa mission de mise à niveau du bâti et de la prévention afin que les primes adossées au risque redeviennent abordables.
La situation semble a priori assez différente en France puisque le régime créé en 1982 mettait d’emblée l’accent sur la solidarité : de fait, une surprime unique et indépendante du risque est appliquée à l’ensemble des polices MRH (multirisques habitation). Mais le déséquilibre qui s’est fait jour ces dernières années entre les primes et la croissance des sinistres (notamment en sécheresse) semble avoir poussé certains assureurs à sélectionner leurs risques, à défaut de pouvoir augmenter les primes, fixées par décret : telle est l’une des conclusions du rapport Langreney-Le Cozannet-Merad paru en 2024. Or si la sélection par certains ne remet pas en cause l’abordabilité des primes, elle menace l’assurabilité des zones les plus risquées. Par un effet boule de neige, ceux des assureurs qui n’ont pas modifié leur offre voient ainsi leur part de marché augmenter dans les zones risquées et par conséquent leurs pertes se creuser, ce qui les oblige à terme à adopter le comportement de leurs concurrents.
L’amplification de la fréquence et de la gravité des risques impose dès lors de repenser les combinaisons d’acteurs et les dispositifs qui permettent d’y faire face, en maintenant l’assurabilité comme protection du plus grand nombre sur une variété de périls. Une hypothèse pourrait être de repenser l’assurance des catastrophes climatiques hors de son cadre classique : un régime Cat Nat peut-il se penser comme un bien public ? Cette proposition pourrait permettre d’internaliser certaines externalités (négatives et positives) en élargissant la nature des dommages et des couts pris en compte.
Une telle approche insiste sur le polycentrisme de ces dispositifs et sur la nécessaire coordination avec d’autres acteurs, et notamment avec les élus, locaux ou nationaux. Les élus jouent en effet un rôle central dans la définition des espaces et des biens à assurer, parce qu’ils doivent assurer leurs propres équipements, mais aussi parce qu’ils décident de l’évolution des implantations du bâti, et donc des bâtiments à assurer. De nombreux élus sont pleinement conscients des enjeux d’assurabilité de tout ou partie des espaces dont ils sont mandataires, qu’il s’agisse des risques à couvrir et, plus encore peut-être, des populations à assurer. D’autres mettent aussi en avant les contraintes territoriales liées à la prévention en regard des avantages, certes plus court-termistes, d’un développement économique porteur de prospérité pour la commune et ses habitants.
Faire face aux catastrophes implique aussi d’engager le plus grand nombre dans la prévention. Il est acquis par exemple que les gens ne se protègent pas contre les catastrophes parce que leur perception des évènements rares est faussée et que les discours experts des assureurs ne suscitent pas la confiance. Travailler à l’inclusion des populations dans les dispositifs assurantiels, en particulier en mettant en place des actions de prévention, ne peut donc se faire sans tenir compte des pratiques et des attentes des assurés. Or, les travaux disponibles sur l’articulation entre les comportements de consommation et la prise de conscience du risque climatique montrent que si les préoccupations environnementales sont désormais largement (mais encore inégalement) partagées, elles ne se traduisent pas mécaniquement par l’adoption d’actions orientées vers la préservation de l’environnement. En matière assurantielle, la question se décline de manière spécifique : les assurés sont-ils prêts à transformer leurs comportements (dans une optique de prévention) ou à assumer un cout plus élevé (pour préserver des formes de solidarité) pour faire face aux nouveaux risques climatiques ? Rien n’est moins sûr. L’acculturation au risque est pourtant nécessaire pour maintenir les risques à un niveau supportable par la collectivité dans son ensemble.
Enfin, les assureurs ne sont pas seulement confrontés à de nouveaux risques physiques : l’Europe, et la France en tête, ont mis en place une nouvelle régulation des acteurs financiers les engageant à prendre une part active dans la décarbonation de l’industrie au travers de leurs investissements. L’opportunité d’investir ici plutôt que là ne devra plus, à l’avenir, être uniquement ramené à une optimisation du risque et du rendement financiers, les conséquences environnementales doivent également être prises en compte. Les arbitrages entre différents types d’actifs seront par ailleurs affectés par ces nouvelles règles : tandis que certains produits deviendront beaucoup plus attractifs (entre 2013 et 2018, le marché français des obligations vertes a été multiplié par dix), au risque de provoquer le développement de bulles spéculatives, l’investissement dans certains secteurs (l’énergie, l’automobile, la défense) sera moins attractif. Là aussi, ce sont de nouveaux modèles, mesurant l’empreinte carbone et/ou la température du portefeuille qui sont en train de se faire jour, déplaçant le métier des gestionnaires de risque. Comment concilier la quantification classique du risque avec ces nouveaux indicateurs ?
Le réchauffement climatique bouscule certes les pratiques assurantielles ; mais il met surtout nos sociétés au défi de repenser l’assurance dans un nouveau cadre. Il s’agit de ne plus appréhender l’assurance comme une relation bilatérale de transfert de risque, mais comme un partage, en remettant en avant son articulation avec tous les acteurs impliqués de fait dans l’exposition et la mitigation des risques. Comme le disait François Ewald dans une audition au Sénat après la tempête Xynthia : « traiter la catastrophe comme un évènement purement physique ou géologique, c’est occulter une réalité qui est profondément politique ».
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