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Comment redonner confiance et dialogue entre la collectivité et l’assureur ?

Publié le 2 juin 2025

Propos recueillis par Sébastien Gominet

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Comment redonner confiance et dialogue entre la collectivité et l’assureur ?
Alain Chrétien, maire de Vesoul et vice-président de l’AMF (Association des maires de France) © IRMa / Sébastien Gominet

Depuis quelques années, les relations entre les collectivités locales et le monde de l’assurance se sont dégradées : résiliations brutales, hausse des primes et des franchises, absences de réponse aux appels d’offres. Dans toute la France, les maires concernés oscillent entre sidération, colère et incompréhension. Conscients de la montée de ces inquiétudes, les ministres de l’Économie, de la cohésion sociale et des collectivités ont demandé au maire de Vesoul et vice-président de l’AMF, Alain Chrétien, et à Jean-Yves Dagès, ancien président de Groupama, de se pencher sur les causes de ces dysfonctionnements et de tracer des pistes d’amélioration. Leur rapport a été rendu en avril 2024 et dresse 25 recommandations qui viennent d’être reprises, en grande majorité, dans le Plan national d’action (PACT 25) du Gouvernement. Entretien avec Alain Chrétien qui croit fermement que le dialogue entre assureurs et collectivités pourra être retrouvé et la confiance restaurée.

Qu’est-ce qui vous a, personnellement en tant que maire et vice-président de l’AMF, amené à vouloir vous investir sur ce sujet de l’assurabilité des collectivités territoriales face aux risques naturels et au changement climatique ?

Tout simplement le fait que j'ai reçu une lettre de résiliation de mon assureur à l'été 2023, ce qui m’a à la fois surpris et inquiété ! J'ai demandé aux services juridiques de la collectivité pourquoi nous étions résiliés, mais eux non plus ne savaient pas et je me suis alors tourné vers David Lisnard, le président de l'Association des maires de France (AMF), pour savoir si j'étais le seul dans cette situation. Il s’est avéré que c'était un mouvement quasiment national et c'est comme ça que David Lisnard a donné mon nom au gouvernement qui souhaitait lui aussi comprendre cette évolution. C'est ainsi que je me suis retrouvé corapporteur de cette mission avec Jean-Yves Dagès, l'ancien patron de Groupama. Je ne suis pas spécialiste en assurance, je ne suis pas courtier, je suis un maire qui a besoin d'être protégé, d'avoir des garanties pour ses équipements. Voilà pourquoi j'ai été mandaté sur ce sujet.

Le rapport que vous avez publié en avril 2024 est le troisième en moins de deux ans sur le sujet, pourquoi autant de rapport et comment votre travail s’est articulé avec les données précédentes, les rapports Langreney et Husson notamment ?

Le rapport Langreney est surtout axé sur le climat et sur les conséquences du dérèglement climatique sur l'ensemble des infrastructures publiques, privées et industrielles et son champ d'études est donc beaucoup plus large. Le rapport Husson a été réalisé quant à lui quasiment en même temps que le nôtre. D'ailleurs, beaucoup de ses conclusions sont très similaires aux nôtres, même si dans le rapport Husson, les parlementaires « tapent » un peu plus sur les assureurs. En missionnant un élu et un ancien assureur pour notre rapport, le gouvernement voulait sans doute une position plus équilibrée.

Les couts des sinistres liés aux évènements naturels augmentent depuis quarante ans, avec une accélération ces dernières années. Est-ce la raison principale des difficultés rencontrées par les collectivités pour assurer leurs biens aujourd’hui ?

« Tout le pays est concerné et pas uniquement les collectivités qui ont connu des sinistralités importantes ces dernières années, climatiques ou sociales. Si je prends l'exemple de ma commune, la ville de Vesoul, notre cotisation a été multipliée par trois en 2023, elle est passée de 100 000 à 300 000 euros alors que nous n'avons connu aucune sinistralité ni climatique ni sociale »

Alors non, l'augmentation des catastrophes climatiques a été un phénomène aggravant, comme les émeutes de 2023 d’ailleurs, mais pas déclencheur de l'effondrement du marché de l'assurance des collectivités. Au cours des investigations que nous avons menées avec Jean-Yves Dagès, une quarantaine d'auditions en l'espace de trois mois de janvier à mars 2024, on s'est rendu compte qu'il y a eu une concurrence exacerbée, une guerre des prix entre les assureurs qui a fragilisé ce marché. Sur le court terme, c’était une bonne nouvelle pour les collectivités puisqu’on a chiffré à 7 % la baisse moyenne de leurs cotisations entre 2012 et 2020. Mais sur le long terme, cela a réduit considérablement l'offre d'assurance puisque beaucoup d’assureurs se sont retirés du marché. Ne sont finalement restés que Groupama et SMACL Assurances qui a failli disparaitre à deux reprises à cause de sa petitesse, de sa faible rentabilité et de l'explosion de ses couts.

Votre rapport pointe entre 1 300 à 1 500 collectivités qui n’ont pas réussi à trouver un assureur en 2023 ou qui ont rencontré de grosses difficultés pour s’assurer. Qui sont ces collectivités, quelle est leur taille, leur répartition géographique et sont-elles les plus à risque ?

Le chiffre de 1 300 à 1 500 communes est une extrapolation. Nous n'avons pas une vision précise de la situation assurantielle des 35 000 communes ou des 50 000 organisations publiques en France. Les situations sont très hétérogènes et dans un raccourci on dit souvent qu’il y a 1 500 communes sans assurance. Non, il y a 1 500 communes qui connaissent des problèmes d'assurance. Certaines d'entre elles, assez peu nombreuses finalement, n'ont plus d'assurance du tout, d’autres connaissent une explosion des franchises qui passe de 10 000 euros à 2 millions d'euros, d’autres encore connaissent une explosion des cotisations qui sont multipliées par trois, par quatre ou même par dix parfois.

Globalement, sur les 35 000 communes de France, 25 000 d’entre elles n’ont qu’une mairie et éventuellement une salle polyvalente à assurer. Donc pour ces communes-là, ce n’est pas un problème et c'est important de le dire. C'est à partir du moment où vous avez une école, une crèche, une piscine, un gymnase, donc on va dire les bourgs-centres, les petites centralités cantonales, les sous-préfectures, à partir de 3 500 habitants en gros, qu’on commence à avoir des problèmes parce que c’est là qu’il y a des biens à assurer.

Tout le pays est concerné et pas uniquement les collectivités qui ont connu des sinistralités importantes ces dernières années, climatiques ou sociales. Si je prends l'exemple de ma commune, la ville de Vesoul, notre cotisation a été multipliée par trois en 2023, elle est passée de 100 000 à 300 000 euros alors que nous n'avons connu aucune sinistralité ni climatique ni sociale. C'est donc un sujet qui concerne toutes les collectivités, c'est un désengagement global des assureurs et c'est pour ça que dans notre rapport, on demande aussi un observatoire de l'assurabilité des collectivités locales pour qu'on ait une vision plus précise de l'ampleur des problématiques des uns et des autres et pour que nos réponses soient les plus justes possible en fonction du contexte.

Quels ont été les premiers constats faits par votre mission et quels sont concrètement les problèmes rencontrés par les collectivités ?

Ils sont de trois ordres. Le premier, c'est la connaissance du patrimoine, de la qualité des biens à assurer. On s'est rendu compte que les élus avaient une très mauvaise connaissance de leur patrimoine public, notamment de sa valeur assurantielle, c’est-à-dire du risque qu’on attribue à chacun des bâtiments. Il y a un gros travail à faire pour pondérer les mètres carrés en fonction du risque. Un centre technique qui stocke des milliers de litres de produits toxiques présente, par exemple, des risques plus élevés qu'un bâtiment vide.

« Il faut rendre les collectivités à nouveau attractives pour que les assureurs reviennent. C'est un sujet sur lequel on a parfois un peu de désaccord ou de débat avec les collègues. Certains d’entre eux voudraient qu'on crée un service public national de l'assurance pour remplacer les assureurs défaillants. Je pense que ce serait encore pire, parce que les assureurs se désengageraient alors totalement du monde des collectivités »

Le deuxième élément, c'est la rigidité du code des marchés publics. Quand les assureurs ne sont plus d'accord avec le cahier des charges et avec ce qui est demandé, on a des appels d'offres infructueux. Ce code de la commande publique est donc devenu un véritable problème et nous préconisons une pratique différente, les marchés négociés ou les marchés de gré à gré. Cela devrait permettre une négociation entre l'assureur et la collectivité pour que la proposition de l'assureur colle au mieux à la demande de la collectivité et que la collectivité puisse se remettre en cause en fonction des propositions qui sont faites par l'assureur.

Et puis, le troisième point, c'est la culture du risque qui est lié au premier point : quand on connait mal son patrimoine, on connait mal le risque qui y est associé. Dans le domaine de la protection des populations, on commence à avoir cette culture du risque via les Plans communaux de sauvegarde (PCS), mais on ne l'a pas encore assez pour protéger nos propres bâtiments. C’est pourtant un élément très important de la continuité du service public.

L’assurance de dommages aux biens (DAB) des collectivités est facultative contrairement à l’assurance de responsabilité civile (RC). Pourquoi ne pas la rendre obligatoire ?

L'assurance responsabilité civile (RC) est aussi facultative. C'est seulement la RC pour les automobiles et quelques services publics comme les remonte-pentes ou les crèches qui est obligatoire. Nous n'avons pas souhaité obliger le législateur à transformer cette assurance en obligation, parce que ça ne résoudrait rien. Ce n'est pas parce que l'assurance devient obligatoire que les assureurs vont revenir sur ce marché parce que l'obligation de vente n'existe pas. Ce serait prendre le problème à l'envers.

Il faut rendre les collectivités à nouveau attractives pour que les assureurs reviennent. C'est un sujet sur lequel on a parfois un peu de désaccord ou de débat avec les collègues. Certains d’entre eux voudraient qu'on crée un service public national de l'assurance pour remplacer les assureurs défaillants. Je pense que ce serait encore pire, parce que les assureurs se désengageraient alors totalement du monde des collectivités. Au contraire, il faut aller chercher ces grands assureurs généralistes, mondiaux, qui disposent de centaines de milliards d'euros, pour justement les placer sur nos territoires, et éviter qu'ils aillent conquérir des marchés à l'extérieur.

Les assureurs regardent aujourd’hui de très près les conditions d’exploitation des sites et les mesures de prévention déployées par les collectivités. Selon vous, cela est-il une bonne chose et comment les collectivités peuvent-elles s’adapter ?

Naturellement c'est une bonne chose que les assureurs mettent un peu la pression sur les collectivités comme ils l'ont fait sur les entreprises. Et il ne s'agit pas forcément d'un problème d'argent, la prévention ne coute pas forcément cher. Elle doit, par contre, être intégrée dans nos pratiques au quotidien. Je prends souvent l'exemple des poubelles. Quand elles sont installées au pied d'un bâtiment public et qu’elles prennent feu, il y a de fortes chances que le bâtiment prenne feu lui aussi. Si vous éloignez les poubelles de votre bâtiment public, quand elles brûlent, elles sont les seules à brûler. Ce sont des choses toutes simples, qui ne coutent rien, mais qui doivent être intégrées dans le fonctionnement de nos services publics.

« Il faudrait aussi revenir sur le principe de la reconstruction à l'identique. Déplacer un gymnase, le reconstruire ailleurs pour éviter qu'il soit inondé à nouveau, ça parait être du bon sens. Le surélever de 50 cm, ça parait être du bon sens aussi. Il faut que les assureurs acceptent des surcouts pour éviter ce principe de la reconstruction à l'identique qui est une bêtise sans nom. Il vaut mieux déplacer un bâtiment plutôt que d'espérer que le risque ne se reproduise pas ! »

L’analyse des aléas et des risques que les collectivités doivent prendre en compte est fondée jusqu’à présent sur des analyses statistiques et des modélisations/simulations des évènements historiques. Vous dites dans votre rapport que ce travail manque encore de dimension prospective. Cela veut-il dire que les risques d’hier ne sont pas ceux de demain ? Expliquez-nous.

En fait, les risques de demain seront différents de ceux d'hier par leur ampleur et par leur localisation. On pensait que les feux de forêt étaient limités au sud de la France. Ce n'est plus le cas. On pensait que les tempêtes étaient limitées aux côtes de l'ouest de la France. Ce n'est plus le cas. Donc, en termes d'ampleur et de localisation, les choses ont changé.

Dans le même temps, on a aussi de nouveaux outils, scientifiques et techniques, de prédiction du risque portés par de nombreuses start-up notamment, qui nous permettent de faire de l'assurance paramétrique. Et donc, d'avoir une projection sur les années qui viennent beaucoup plus fine, beaucoup plus précise, à la fois de l'ampleur des évènements climatiques auxquels s’attendre, mais aussi de leur localisation précise sur le territoire. Ces nouveaux outils sont en train d'émerger à grande vitesse et il faut qu'on se les approprie pour mieux anticiper les risques.

L’Autorité de la concurrence recommande de renforcer la connaissance, par les collectivités territoriales, de leur patrimoine et de l’ensemble des risques auxquels elles sont confrontées. Vous dites vous-même dans votre rapport qu’« aujourd’hui, la culture du risque n’est pas répandue au sein des collectivités locales ». Que proposez-vous pour améliorer cela ?

Ce qu'on propose notamment, c'est de développer et généraliser la fonction de manager des risques. Il faut créer cette fonction dans la nomenclature des agents publics formellement et officiellement. Le Centre national de la fonction publique territoriale (CNFPT) pourrait très bien créer des modules pédagogiques pour commencer à former les agents. Il pourrait être aidé du CEREMA et d’associations comme l'AMRAE, tous ces organismes ayant pour vocation de faire percoler la gestion du risque dans la tête des dirigeants, élus, et dans celle des services.

Sans d’énormes couts d'investissement ou de rénovation du bâti, la reconnaissance du métier de manager de risque permettrait d’intégrer pleinement le risque dans la gestion de la collectivité.

Vous faites vingt-cinq recommandations dans votre rapport, y en a-t-il qui vous paraissent plus urgentes que d’autres ?

Il y a urgence pour régler des problèmes très particuliers, je pense notamment à la ville de Rive-de-Gier qui a vu sa franchise exploser à cause d'une disposition réglementaire mal rédigée. Je pense aussi au maire de Breil-sur-Roya, dans les Alpes-Maritimes, qui n’avait pas d’assurance sur ses biens et qui a été victime de grosses catastrophes. Il faut rapidement rédiger un décret pour éviter que ce soit la franchise la plus élevée qui s'applique dans un contrat d'assurance. Il faut aussi généraliser le recours au BCT, ce fameux Bureau central de tarification, dont la vocation est d'obliger l'assureur qui a refusé d'assurer de faire des propositions à la commune. Il y a donc des mesures très rapides à prendre qui doivent permettre de montrer qu'il y a une prise de conscience globale et que les choses se mettent à bouger.

Il y a ensuite des mesures de moyen terme qui méritent d'être réalisées dans les mois qui viennent. Je pense notamment au nouveau guide pratique de la commande publique qui permettra d’éviter d’avoir recours uniquement à de l'appel d'offres et qu'on puisse enfin négocier avec nos assureurs. Dans les mois qui viennent, cela devrait fluidifier la relation contractuelle entre le donneur d'ordre et le prestataire.

Enfin des mesures de plus long terme sont aussi nécessaires comme la réforme de la Dotation de solidarité aux évènements climatiques (DSEC), pour la rendre plus opérationnelle et élargir l'éligibilité des biens bénéficiaires. Il faudrait aussi revenir sur le principe de la reconstruction à l'identique. Déplacer un gymnase, le reconstruire ailleurs pour éviter qu'il soit inondé à nouveau, ça parait être du bon sens. Le surélever de 50 cm, ça parait être du bon sens aussi. Il faut que les assureurs acceptent des surcouts pour éviter ce principe de la reconstruction à l'identique qui est une bêtise sans nom. Il vaut mieux déplacer un bâtiment plutôt que d'espérer que le risque ne se reproduise pas !

Donc voilà, des mesures très urgentes pour montrer qu'il y a une prise de conscience globale et que les choses bougent, des mesures de moyen terme pour changer la relation contractuelle et des mesures de plus long terme pour reconstruire la confiance entre collectivités et assureurs. Je suis optimiste parce que les diagnostics sont partagés, nos préconisations sont consensuelles, elles sont concrètes, et il faut maintenant les mettre en œuvre sur les territoires.

 

 

 

En savoir plus :

> Adapter le système assurantiel français face à l'évolution des risques climatiques
https://www.ecologie.gouv.fr/sites/default/files/documents/Rapport_final_Mission_assurance_climat-020424.pdf

> Rapport d'information (...) sur les problèmes assurantiels des collectivités territoriales
https://www.senat.fr/rap/r23-474/r23-4741.pdf

> L’assurabilité des biens des collectivités locales et de leur groupement : état des lieux et perspectives
https://medias.amf.asso.fr/docs/DOCUMENTS/1c066a2e80b4f3086fa2a8d97e38f4cb.pdf

> Avis 25-A-04 du 23 janvier 2025 relatif à la situation concurrentielle dans le secteur de l’assurance de dommages aux biens des collectivités territoriales
https://www.autoritedelaconcurrence.fr/sites/default/files/integral_texts/2025-01/25a04.pdf



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