Cette forte activité peut surprendre, car les départs de feux et les surfaces brûlées avaient fortement diminué depuis les années 90 avec la mise en place d’une nouvelle politique renforçant la chaîne prévision-prévention-alerte-lutte contre les feux. La pierre angulaire de cette politique est l’attaque massive des feux naissants : elle vise à empêcher le développement des feux au-delà de quelques hectares par l’envoi massif et rapide de tous les moyens disponibles. Ces progrès restent cependant fragiles lors des années météo exceptionnelles.
Alors, comment expliquer cette recrudescence des feux ? Faut-il y voir un effet des changements climatiques ? Comment s’adapter à l’échelle des territoires ?
À l’échelle quotidienne, les incendies de forêts dépendent des interactions entre la météo, l’occupation du sol qui détermine la quantité de végétation combustible, et les activités humaines qui génèrent plus de 90 % des départs de feux. Les incendies reflètent ainsi nos modes de vie et d’usage du feu, l’évolution de nos paysages, de la population et du climat. Ils ont donc évolué au cours des décennies, avec des augmentations dans certaines régions et des diminutions dans d’autres.
Evolution de l’indice forêt météo et des incendies dans le sud-est de la France (1975-2011) (Fréjaville et Curt 2015)
Certains paysages ou certaines régions sont plus à risque que d’autres. L’ensemble du littoral méditerranéen est un « point chaud » avec de nombreux incendies, dont certains très grands, du fait du climat très favorable et de la forte présence humaine qui génère un grand nombre de départs de feux. C’est aussi une région à fort risque du fait de l’urbanisation rapide et du développement d’infrastructures qui sont exposées aux feux. Toutes les régions à urbanisation rapide, y compris dans l’arrière-pays voient le risque incendie augmenter. Dans les Bouches-du-Rhône et en Haute-Corse, les zones d’interface habitat-forêt ont ainsi progressé de 10 % en dix ans.
Les montagnes et l’arrière-pays (Alpes, Pyrénées, Corse, Massif central) sont aussi souvent soumis à un risque accru : dans de nombreuses régions les paysages anciennement pâturés ou cultivés s’embroussaillent depuis des décennies. Par ailleurs, la forêt française progresse presque partout, ce qui augmente la biomasse combustible. Ces paysages de moyenne montagne subissent ainsi à la fois des changements climatiques et une transformation paysagère profonde et probablement durable.
Les changements climatiques en cours ont déjà des effets sur l’aléa météo/feux de forêts, et sur les incendies eux-mêmes. Une étude de 2010 (Météo France) montre que l’augmentation des températures depuis 1959 a conduit à une augmentation de 20 % de l’indice forêt météo, qui estime le niveau de danger météo quotidien pour les feux de forêts. Cela conduit notamment à une extension spatiale de la zone propice aux incendies en France, et à un allongement de la saison à risque. Dans les Alpes, la saison à risque s’est déjà allongée de 2 à 7 semaines depuis cinquante ans, et des grands feux se sont développés depuis 2003 (Figure).
Valeur moyenne, valeur en 2003 et évolution de l’indice forêt météo pour les combustibles fins dans les Alpes françaises (1959-2015; Dupire et al. 2017)
À ces changements il faut ajouter l’augmentation des événements météo exceptionnels comme la canicule de 2003 ou les sécheresses de 2016 et 2017. Toutes ces évolutions sont cohérentes avec les bilans effectués par le GIEC à l’échelle globale, et notamment à l’échelle européenne. Les modélisations confirment que ces événements extrêmes devraient se multiplier dans les prochaines décennies. L’année 2017 pourrait ainsi devenir une année normale d’ici 2050.
L’année 2003 exceptionnellement chaude et sèche avait vu le développement de nombreux feux intenses et difficiles à combattre. Les impacts écologiques en sont encore parfois visibles. Les années 2016 et 2017 sont aussi une bonne illustration des évolutions du climat et de leurs impacts. Cette année les incendies ont déjà connu trois phases successives dans le Sud-Est : un démarrage très précoce (début juin) avec de grands incendies, une conflagration de grands feux en juillet avec plus de 9 000 ha brûlés en quelques jours, et de nouveaux grands incendies en octobre du fait de la sécheresse qui dure.
En 2017 la sécheresse des sols a battu le précédent record de 1967. Mais si 1967 était une année plutôt fraîche, 2017 affiche +1°C sur les six derniers mois dans le Sud-Est. Le cocktail sécheresse-chaleur-vent dessèche la végétation et la rend très inflammable, d’où beaucoup d’incendies intenses et difficiles à maîtriser par les pompiers.
Deux choses intéressantes sont encore à noter : les feux de cette année au Portugal et en Espagne ont suivi le même calendrier qu’en France, car ils ont été gouvernés par une météo comparable ; par ailleurs de grands feux intenses se sont aussi développés dans les Hautes-Alpes qui sont généralement peu concernées.
Sur un plus long terme, le climat agit aussi directement sur la végétation en augmentant les dépérissements et la mortalité en forêt, ce qui accroît la biomasse morte dans les arbres et au sol. Les chercheurs et les pompiers de Catalogne (Espagne) pensent ainsi que nous avons déjà affaire à une nouvelle génération d’incendies intenses et capables de se propager dans des paysages à la fois urbanisés et fortement végétalisés, ce qui rend la lutte très complexe.
L’adaptation est le maître mot en matière de préparation aux risques futurs. Il existe des solutions pour limiter les feux et leurs impacts futurs ; elles sont parfois déjà mises en œuvre. Nous devons adapter nos territoires et nos modes de vie. C’est donc l’affaire de tous : personnes privées, élus, collectivités.
Les efforts sont à maintenir au niveau de la lutte contre les incendies : maintenir voire améliorer le dispositif de prévention-alerte-lutte des pompiers et de la sécurité civile est crucial. Il faut même l’étendre dans le temps et dans l’espace pour tenir compte de l’extension saisonnière et géographique du risque.
La prévention est probablement insuffisante et doit être renforcée ; cela passe par la sensibilisation du public – notamment scolaire –, des gestionnaires et des décideurs concernés. Notre culture du risque incendie est assez faible : nous avons souvent une mémoire limitée des événements passés et une trop faible préparation du public au risque futur.
Une meilleure maîtrise de l’urbanisation est nécessaire pour éviter la multiplication des départs de feux et des enjeux à protéger. Des outils et des guides pratiques existent maintenant pour mieux évaluer le risque d’incendie dans les zones d’habitat-forêt, choisir les espèces les moins inflammables à installer près de sa maison, ou savoir comment bien débroussailler.
L’exemple landais montre que la gestion des forêts peut efficacement limiter le risque incendie ; cela passe par exemple par une maîtrise de la biomasse forestière par une exploitation raisonnée : moins de végétation combustible en forêt signifie des feux moins intenses et une lutte plus facile. Il faut aussi adapter les forêts par le choix d’espèces adaptées au feu et à la sécheresse.
Une zone agricole ou une oliveraie bien entretenue peuvent stopper la propagation du feu © Irstea
Toutes ces évolutions visent à rendre nos paysages et nos territoires moins inflammables : un paysage avec plus de coupures agricoles ou pâturées, mieux débroussaillé, avec des végétaux et des forêts moins inflammables et plus résilientes après feu, c’est vraiment l’affaire de tous. Une vision positive est qu’il est possible que ces multiples actions agissent de concert pour limiter vraiment le risque incendie dans le futur. Les décisions publiques et privées doivent pouvoir se nourrir des avancées de la recherche : il est ainsi nécessaire de mener des recherches pour tester l’efficacité de différentes solutions de gestion sur le risque incendie futur, et prendre les bonnes décisions.
/// Article paru dans la revue "Risques Infos" n°36, janvier 2018 de l'IRMa
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